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P. Bayle à Christiaan Huygens.1er janvier 1691.Monsieur Il y a longtems que j'ai pensé à vous demander l'explication d'une chose qui ne vous chargera d'aucune meditation, et je suis bien aise d'avoir differé jusqu'à aujourdhui afin de pouvoir en meme tems vous souhaitter une bonne et heureuse année. Je vous la souhaitte, Monsieur, tres heureuse celle que nous commencons, et plusieurs autres consecutivement. pour venir à ma petite question voici ce que c'est. Comme je n'ai jamais fait d'operation Astronomique, je ne sai point avec quels instrumens on prend la paralaxe d'un astre, et comment on peut remarquer la difference entre le locum verum et le locum visum d'un astre, car dit on, locus verus c'est celui où la lune paroitroit correspondre au firmament si on la regardoit du centre de la terre: locus visus est celui où nous la voions correspondre au firmament. Je comprens fort bien que plus un astre est eloigné de la terre, moins doit on s'apercevoir de la difference entre son locus verus et son locus visus, mais je voudrois seulement savoir comment on fait que le locus verus de la lune, c'est a dire celui où elle paroitroit du centre de la terre, est là ou là, eloigné de tant et de tant de son locus visus. Vous voiez Monsieur que c'est là une demande de Novice qui ne vous coutera que 2 coups de plume, si vous avez la bonté de me la vouloir eclaircir à votre première commodité, comme vous en suplie tres humblement Monsieur Votre treshumble et tresobeissant serviteur
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Christiaan Huygens à P. Bayle.13 janvier 1691.Monsieur Vous ne faites pas comme la pluspart des philosophes qui profitent des decouvertes des Astronomes, sans s'informer comment ils les ont faites. J'approuve fort vostre curiosité et y satisfais tres volontiers, quoy que le premier autheur de ceux qui traitent ces matieres, si vous l'aviez voulu consulter, vous auroit pu apprendre ce que vous me demandez touchant la maniere d'observer les Parallaxes. Vous scavez que par les Tables astronomiques on peut connoitre le lieu d'un astre, par ex. de la Lune, en determinant sa longitude et latitude a l'egard du cercle Ecliptique [^] et de son point qui s'appelle le commencement d'aries. lequel lieu se trouve tout calculè dans les Ephemerides, en sorte qu'on le peut avoir pour chaque jour heure et minute. Ces lieux sont ceux ou la lune paroistroit parmi les Etoiles fixes estant regardée du centre de la Terre. Et il estoit necessaire de commencer par ces loci veri pour trouver en suite locos visos ex terrae superficie. Ayant donc apris par l'un de ces moiens la Longitude et la Latitude de la Lune on peut trouver par le calcul des triangles spheriques quel sera l'angle de son elevation sur le plan d'un horizont, qu'on nomme rationalis qui est un plan imaginè passant par le centre de la Terre, et parallele a nostre horizon visible, c'est a dire parallele au plan qui touche le globe terrestre a l'endroit ou nous sommes. Soit SG la Terre; son centre C. le lieu de nostre demeure S, la lune en L. Imaginant maintenant un plan FSE qui touche la terre en S, et qui s'etende jusqu'aux etoiles fixes et un autre plan BA parallele au premier et passant par le centre C, c'est la cet horizon rationalis et la hauteur de la lune qui se trouve comme je viens de dire est l'angle LCA. |
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Pour mesurer donc la parallaxe de la Lune, il faut observer a quelque heure sa hauteur apparente sur nostre horizon visible FSE, scavoir l'angle LSE, ce qui se fait par le quart de cercle [^] ou autre tel instrument, et mieux qu'autrement lors que la Lune est au meridien, parce qu'elle demeure quelque temps la sans changer sensiblement de hauteur. Ayant cette hauteur (prenons que ce soit 30 degr.) on suppose en suite pour l'heure que cette observ. a estè faite, l'angle LCE, qui soit de 30 degr. 40 min. Ces 40 min. de difference font l'angle SLC, qu'on nomme parallactique. Car il est aisè de voir que cet angle SLC est celuy dont l'angle LCA, c'est a dire CDS surpasse ESL, ou DSL, puisque DSL et DLS pris ensemble egalent l'externe CDS par Elem. d'Euclide [^]. C'est que dans le triangle SLC estant connu l'angle L et l'angle LSC, composè de LSE et de l'angle droit ESC; et le costè SC, on en calcule le costè CL, distance cherchee de la lune au centre de la Terre. Vous voiez donc Monsr. la maniere de connoitre la parallaxe par observation jointe au calcul de l'angle de'elevation de l'astre sur l'horizon, et il ne faut qu'un mot pour vous faire voir comment cette parallaxe sert a trouver la distance de l'astre.
J'ajoute encore que par la distance connue on suppose reciproquement la parallaxe pour toute elevation sur l'horizon visible, car dans le triangle SLC, les cost. SC, CL estant donnez et l'angle CSL par observ.on, on en trouve l'angle SLC. On trouve encor plus facilement quand l'astre est dans le plan horizontal SE comme en E, l'angle SEC, parce que le trian. CSE est rectangle, aiant les costez CS, SE connus d'ou l'on a d'abord SEC que l'on nomme la parallaxe horizontale, c'est elle, qui est la plus grande de toutes et qui ne se trouveroit pas bien par observation a cause des refractions pres de l'horizon. |
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Ainsi l'on apprend dans le Systeme Copernicien la proportion de toutes les distances des Planetes au Soleil comparees au demidiametre de l'orbe annuel de la Terre, dont on ne pouvoit rien scavoir dans le systeme de la terre immobile de Ptolemee. Je vous remercie treshumblement de vos bons souhaits pour la nouvelle année. J'espere qu'elle vous sera autant et plus heureuse et suis avec zele Monsieur
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Christiaan Huygens à P. Bayle.6 juin 1691.A Voorburg ce 6 Juin 1691. MonsieurJe vous rends graces tres humbles de m'avoir fait part de vostre defense contre les accusations de vostre Collegue 1). Je les avois lues peu de jours auparavant, et je viens de revoir encore l'Avis au refugiez 2), qui à dire vray me paroit d'un stile bien different du vostre, estant escrit avec un soin et une estude plus grande qu'il ne convient a vostre genie, qui vous permet d'ecrire agreablement et avec facilitè. Je soupconnerois bien plustost M. Pelisson 3) pour estre autheur de cet avis. Quant au projet de Paris dont on vous fait une affaire et que je n'ay pas encore vu, vostre raport ingenu, avec les moyens aisez de le verifier, ne laissent aucune ombre de crime. Cependant ces malheureux differents vous font perdre bien du temps inutilement et ne servent qu'a rejouir les zelez Catoliques Romains. Je m'estonne que Mr. J. ne considere pas le tort qu'il a fait tant a nostre Religion, pour la quelle il a tant combattu, qu'a luy mesme, en s'attirant des reproches si terribles de la part de ceux de son parti, par ce qu'il leur en fait le premier. Il me semble que les Magistrats devroient mettre ordre, que des accusations de la nature de celles qu'on vous fait, fussent intentées devant eux, et non pas publiquement devant tout le monde par des ecrits et des libelles. Je suis bien aise de voir fructifier vos soins dans les Estudes de mon jeune neveu 4) qui est heureux de vous avoir pour conducteur et d'une capacité a en devoir esperer beaucoup. Je suis veritablement &c. 1) Pierre Jurieu, voir la Lettre No. 2428, note 6 [IX, 86]. Bayle a publié plusieurs écrits pour se défendre contre les accusations de Jurieu, entre autres: Cabale chimérique [1691] de [et] La chimère de la cabale de Rotterdam [1691]. 2) L'Avis important aux refugiez sur leur prochain retour en France, à Amsterdam in-12o [1690], cité dans la note 1 de la Lettre No. 2320 [VIII, 454]. Jurieu a attaqué ce livre et son auteur présumé dans ses écrits: Examen d'un libelle contre la religion. La Haye, 1691, in-12o; Nouvelle correction sur l'auteur de l'Avis aux refugiez 1692, in-4o; Factum selon les formes ou disposition des preuves contre l'auteur de l'avis. 1692, in-12o. 3) Voir la Lettre No. 2185, note 1 [VIII, 196]. 4) Probablement Constantyn Huygens [1675 - 1739], fils de Lodewijk Huygens, à Rotterdam. Voir la Lettre No. 2018, note 3 [VII, 430].
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P. Bayle à Christiaan Huygens.6 mars 1692.Monsieur Les lumieres extraordinaires dont Dieu vous a pourveu ne doivent pas etre seulement pour vous ou pour vos Lecteurs, mais en general pour tous ceux qui peuvent sortir de leurs doutes en allant consulter votre oracle. Je prens donc la liberté de vous consulter aujourdhui sur une chose qui n'est pas digne de vous etre proposée, mais enfin j'aurois trop de peine à m'en tirer par mes propres forces, n'etant pas homme de meditation, je vous prie donc Monsieur tres humblement de vouloir vous abaisser jusqu'à cette bagatelle pour m'epargner un tems que j'emploirois peut etre inutilement à chercher la solution.
pourroit on dire que des gens plus orientaux que Rome de telle sorte que quand ils ont 9. heures du soir, il est midi à Rome, ne peuvent point voir le soleil quand il est midi à Rome. Ce qui me fait vous demander cela est que j'ay à refuter Pline qui a dit que les feux qu'on allumoit sur certaines tours pour avertir de l'arrivée des pirates, qu'on allumoit dis-je, hora sexta diei etoient veus vers l'orient jusqu'à des lieux où il etoit trois heures de nuit. Il est bien certain que cela est impossible, mais je n'ai pas osé avancer que tant s'en faut qu'une lumiere si petite et si basse puisse etre veuë d'une distance qui comprend plus du tiers du rond de la terre (je veux dire neuf heures) le soleil meme si grand et si elevé n'en pourroit pas etre aperçu. |
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la ville A voit une eclipse à 10. heures, et la ville B. à 8. heures le meridien de la ville A est plus oriental de 30. degres que le meridien de la ville B, car si chaque heure repond à 15. degres ou à 15 meridiens, il faut que le soleil parcoure neuf fois 15. meridiens depuis qu'il se leve à Stokolm, jusques à ce qu'il arrive au meridien de Stokolm, et cependant il ne peut y avoir du meridien d'un lieu à l'horison du meme lieu que le quart du cercle c'est à dire six fois 15. meridiens. Je vous demande tres humblement pardon, de la liberté que je prens, d'occuper la la massuë d'un Hercule à ecraser un ver, car mon petit doute à l'egard d'un homme comme vous, n'est que comme un insecte pour ce dompteur de monstres. Je suis avec toute sorte d'admiration. Monsieur Votre treshumble et tresobeissant serviteur de mars 1692.
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Christiaan Huygens à P. Bayle.19 mars 1692.Monsieur
Vous entendez fort bien une partie de ce que vous me proposez a resoudre. Quand il est midy a Rome, et 9 heures du soir (suivant nostre maniere de conter les heures) ou 3 heures du nuit suivant les anciens Romains, en quelque lieu plus oriental que Rome, il est certain que ce lieu peut estre si avant vers le nord que pendant une partie de l'année on y verra le soleil a ces 9 ou 3 heures, puisque il y a des lieux vers le nord ou le soleil ne se couchent 1) pas seulement pendant quelque mois. Vous avez donc eu raison de ne pas vouloir affirmer generalement en refutant Pline, que dans un lieu plus oriental de 9 heures que Rome on ne pourroit voir le soleil lors qu'il est midy a Rome et l'exemple de Stockholm est bien alleguè. 1) Lisez: couche. 2) Historia Naturalis, Lib. II, Cap. LXXI [Engl: 1601/1855]:
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meridien avec Rome par ex. c'est a dire qu'elle soit avec elle dans un mesme grand cercle menè par les 2 poles de la Terre, vous scavez bien qu'il y sera midy en mesme temps qu'a Rome, et que s'il est alors 2 heures apres midy en Ispahan, il le sera de mesme dans tout lieu qui est avec cette ville dans un mesme grand cercle menè par les poles. Ce qui vous a embarassè c'est l'imagination confuse de la distance de 90 degrez entre le meridien et l'horizon. Il n'y a que le point du meridien qu'on appelle le Zenith ou vertical, qui soit distant de 90 degrez de l'horizon. Comme dans cette figure ou la ligne BC represente l'horizon de Stockholm le cercle BAC son meridien A le zenith. Ce point et nul autre au dessus de l'horizon en est distant de 90 degrez ce que vous ne pouvez ignorer, si DF est le tropique du cancer, et le soleil en D au moment du midy, on ne peut pas dire qu'il soit eloigné de l'horizon de 90 degrez, mais seulement de l'arc DB. Et cependant il luy faudra desia 6 heures pour faire DH le quart du cercle DF; et 9 heures pour faire l'arc DE de ce mesme cercle, le supposant 3/8 de toute sa circonference. Et si le soleil avoit pour tropique le cercle GC, il luy faudrait 12 heures pour aller du midy à l'horizon en C, ou de C en G. Je ne vous apprens rien Mr. mais seulement je vous fais ressouvenir de ce que vous scaviez et croiant avoir levè vos petits scrupules je demeure avec offre de toute ma mathematique. Monsieur &c.
[ P. Bayle, Projet et fragmens d'un dictionnaire critique (Rotterdam 1692), 344-5.]
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Christiaan Huygens à P. Bayle.26 février 1693.a Mr. Bayle a Rotterdam 26 fev. 93. Mon neveu Huygens 1) m'envoya Monsieur ces jours passez le billet, dans lequel vous le priez de vous faire avoir quelque memoire touchant la vie et les escrits de mon Pere, a qui vous vouliez faire l'honneur d'en faire mention dans votre Dictionaire Critique 2). Vous ne pouvez pas douter que je ne prenne tres volontiers ce soin, si vous continuez dans le mesme dessein apres avoir considerè ce que je vay dire, c'est que Mr. le Clerc 3), par Mr. Moetjens le libraire, m'a fait demander un pareil memoire, pour faire entrer mon Pere dans le Dictionaire de Moreri 4) dont il a entrepris une nouvelle Edition, et ou il doit parler de plusieurs1) Constantyn, fils de Lodewijk Huygens et de Jacoba Teding van Berkhout [<]. 2) Dictionaire historique et critique par Monsieur Bayle. A Rotterdam, Chez Reinier Leers. MDCXCVII. Deux forts volumes in-fo. Il ne contient aucun article sur un des Huygens. 3) Jean Leclerc [... 1657 - 1737 ...] rédigea une septième édition en trois Tomes (deux volumes) de l'ouvrage cité dans la note suivante. Cette édition, parue en 1694 [...] ne contient aucune notice sur un des Huygens. 4) Le grand Dictionaire historique etc. Par M.re Moreri, Prêtre, Docteur en Theologie etc. [...] parut pour la première fois à Lyon en 1675 ['74 ... Voir sur le memoire p. 455-7]. |
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personnes de marque de notre pays ce qui m'a fait penser s'il ne sembleroit pas qu'il y eust de l'affectation et de la superfluitè lors qu'on verroit a peu pres les mesmes choses touchant cette vie paroistre en mesme temps dans ces deux dictionaires. J'avois songè apres cela si en reprenant les fautes de Mr. Baillet dans sa vie de Mr. Des Cartes, ou il me confond perpetuellement avec mon pere, et me fait Curateur de l'Academie de Breda lors que j'y estudiay et que je n'avois que 17 ans, si disje a l'occasion de cette critique, vous ne pourriez pas raporter quelques particularitez de sa vie. Mais voila Mr. Baillet luy mesme qui par Mr. de Beauval m'a priè que je luy fisse un memoire des fautes qu'on luy avoit dit que j'avois trouvè dans son ouvrage 5); dans l'intention, comme il semble de les redresser dans quelque nouvelle edition ou autrement, et d'echaper peut estre par la a vostre censure. En quoy m'estant trouvè obligè de le satisfaire c'est a vous Mr. à juger, s'il ne vous oste pas, par cette diligence tout sujet de rien dire a son desavantage, dans l'endroit ou vous parleriez de mon Pere et qu'ainsi cet article ne pourroit pas avoir ce pretexte 6). S'il vous plaist de me mander vostre sentiment sur ces raisons de douter, j'y souscriray volontiers et feray tout ce que vous souhaiterez estant entierement Monsieur Vostre
5) Voir, sur Baillet et son ouvrage: "La vie de Monsieur Descartes" [1691], la Lettre No. 2696, note 1 [p. 143]. [ Ed. 1691, ex. Hannover met marginalia van Chr. Huygens, zie H. J. Hess, 'Bücher aus dem Besitz von Christiaan Huygens (1629-1695) in der Niedersächsischen Landesbibliothek Hannover', in Studia Leibnitiana 12 (1980), p. 28-31]. [ Ed. 1693, 'Réduite en abregé' (1 deel, geen Errata): op p. 98 staat weer 'Zuitlichem' (i.p.v. 'Zuylichem'), zoals in ed. 1691, deel 1, p. 267. Ook staat in ed. 1693 op p. 265 weer genoemd Fr. van Schooten 'de oude' (i.p.v. zijn zoon), zoals in ed. 1691, deel 2, p. 374.] 6) Nous faisons suivre, dans l'Appendice à cette lettre, les notes concernant l'ouvrage de Baillet, que Chr. Huygens inscrivit sur les pages blanches d'un "Comptoir Almanach op 't Jaar ons Heeren Jesu Christi M.DC.LXXXVI." |