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Roberval , Frenicle , Buot , Huygens ... , Du Hamel , Mariotte , Perrault


Académie des Sciences

Procès-verbaux, T6
(3 avril-18 décembre 1669, Registre de physique [T. 5, math.])

Pesanteur



Gilles Personne de Roberval

[ 129 ]

Du mercredy 7e aoust
 1669.


Le Mercredy 7e iour d'aoust 1669. la Compagnie estant assemblée on a traitté des Causes de la pesanteur, M. de Roberval qu'on avoit prié d'y penser a lû le memoire qui suit.

  J'appelle la Pesanteur d'un corps ce qui porte ce corps a descendre vers un centre par la nature seule et sans artifice.
  Ainsi, on pourra considerer une pesanteur terrestre, une lunaire, une solaire, une joviale etc.

[...]

Voir: Oeuvres complètes de Christiaan Huygens, T. XIX, p. 628-630
image , texte , Ned.




Bernard Frenicle de Bessy

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Du mercredy 14e aoust
 1669.


Le Mercredy 14e. aoust 1669. La compagnie estant assemblée on a continué a traitter des causes de la pesanteur, touchant lesquelles M. Frenicle a lû le memoire suivant.

La nature a donné a chaque chose une vertu ou force particuliere de se conserver. Cette vertu n'est pas la mesme dans toutes; et elle agit bien differemment: ainsy les Plantes s'entretiennent en vigueur d'une maniere bien differente a celle qui sert a conserver la vie aux animaux; mais parce qu'ils n'ont pas en eulx tout ce qui est necessaire pour leur conservation et qu'ils ont besoing de le recevoir d'ailleurs; quand cela leur manque il faut qu'ils perissent; d'ou vient que la vertu qu'ils ont de se conserver est fort bornée.

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Il n'en est pas de mesme de la Terre, qui n'ayant point besoing de croistre, ny de s'augmenter s'entretient avec bien plus de facilité, puisqu'elle n'a besoing pour cela que de tenir ses parties joinctes ensemble pour en empescher la dissipation; Ce qu'elle fait par la pesanteur de ses parties.

La pesanteur n'est donc autre chose qu'une action par laquelle les parties de la Terre se tiennent toutes joinctes ensemble, et composent par cette union le grand Corps de la Terre et s'y rejoignent par quelque violence elles en ont esté separées.

Or par la Terre on doibt entendre tous les Elements qui ont tous quelque pesanteur comme l'experience faict voir. Et il n'y a entr'eux que la distinction du plus et du moins.

  Ce que je dis de la terre se peut entendre aussi de tous les autres grands cors qui

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composent l'univers, sçavoir des astres; mais comme nous n'en pouvons avoir aucune experience, ce n'est qu'une coniecture qui toutefois est assez forte, si on suppose que ces corps sont capables de souffrir quelque separation de leurs parties, et que il s'en fasse en effect comme en la Terre.

Or encore que la pesanteur soit plustost une inclination au mouvement, qu'un mouvement mesme, puisqu'on void plusieurs corps pesants en repos, elle ne laisse pas d'agir beaucoup en pressant sur le corps qui s'oppose a ce mouvement et qui l'empesche. Et comme elle n'est pas egalle ou n'agit pas egallement dans toutes les parties de la terre, et qu'il y en a de plus pesantes les unes que les autres, il est necessaire que les plus foibles cedent aux plus fortes; particulierement si ce sont des corps fluides; et pour les solides, si celuy qui s'oppose au mouvement devient plus foible que celuy auquel

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il s'oppose, soit que l'appuy viennent a luy manquer ou par quelqu'autre cause, le mouvement vers le centre de la Terre s'ensuivra necessairement. Donc puisque la Pesanteur produict le mouvement, si on ne sçait ce qui cause le mouvement qu'on peut nommer moteur, il seroit besoing pour en avoir la connoissance de considerer les proprietez du mouvement; mais parce que cela demande un Traitté tout entier, je me contenteray d'en apporter icy trois causes que l'experience iournaliere nous fait voir. Ces trois causes sont la proiection le poussement et l'attraction.

Le moteur agit sur le mobile par la premiere de ces causes, quand apres avoir donné mouvement au mobile il le laisse dans sa liberté, sans agir sur luy davantage. Or je nomme mouvement de proiection, celuy que retient le mobile, apres estre separé du moteur.

Le moteur agit par la 2e cause quand

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il accompagne le mobile dans tout son mouvement, soit qu'il le porte, soit qu'il le traine, ou qu'il le pousse. C'est par celle cy qu'agissent la rarefaction et la condensation. Et c'est la seule cause bien cognüe; car dans la proiection on trouve quelque difficulté de rendre raison pourquoy le mobile continue son mouvement apres que le moteur a cessé d'agir sur luy; Ce qu'il faict par cette 2de cause que j'ay nommée poussement; qui faisant par fois une percussion, qui est un poussement fort prompt, produict aussi la proiection.

Par l'attraction j'entends l'action que fait le moteur sur le mobile sans qu'il le touche. On la remarque particulierement dans l'aymant qui attire le fer sans le toucher, encore mesme qu'il y ait quelque corps entre deux; dans l'ambre et autres matieres qui attirent les choses seches, qui ont peu de pesanteur, sans les toucher; on la void aussi dans les corps fluides, et dans

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ceux qui nagent dessus, soit a cause de leur petitesse, ou de leur legereté.

Et on peut croire que c'est par cette mesme vertu que la Terre attire a soy ses parties, quand elles en sont separées; ce qui faict la pesanteur.

Je ne voids point d'autres causes du mouvement que ces trois; Car si le mouvement ne se fait point sans moteur, il faut que le moteur agisse continuellement sur le mobile pendant tout son mouvement en le touchant, et c'est le poussement; ou sans le toucher, et c'est l'attraction; ou qu'il ne le touche pas pendant tout son mouvement, mais pendant une partie seulement et c'est la proiection.

Quelques uns adioustent une quatriesme cause du mouvement et disent qu'il y a des Corps qui ont une inclination naturelle a se mouvoir et ainsy n'ont point besoing de moteur.

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C'est par elle qu' Aristote fait mouvoir les choses pesantes vers un centre qu'il feint dans la nature, qu'il nomme le centre du monde; et celles qu'il nomme legeres, vers sa circonference, (motus a centro, motus ad centrum) mais pour establir cette inclination a se mouvoir il fault avoir recours a un premier et Souverain moteur qui est Dieu;
mais comme nous ne traittons pas icy de cette premiere cause, je ne m'y arresteray pas; je diray seulement qu'on pourroit raporter de mesme immediatement a Dieu tous les effects de la nature et ainsy on n'auroit plus que faire de Physique et il est certain qu'il a pû donner aux corps la vertu de s'attirer les uns les autres qui faict la pesanteur, aussi bien que la vertu de se mouveoir.

Et si nous ne voyons pas de quelles machines se servent ces corps pour

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s'attirer les uns les autres, nous ne voyons pas aussi par quel moyen le mouvement se continue dans les corps, si on ne suppose un corps qui ait de soy mesme la faculté de se mouvoir, ce qui est aussi incognû que la vertu qu'ont les corps de s'attirer les uns les autres et de s'unir ensemble; La seule Experience nous en donne la connoissance mais pour la cause tant de l'attraction que du mouvement de ces Corps il faut avoir recours au premier moteur.

L'experience nous fait voir l'attraction des corps fluides dans les Gouttes d'eau qui estant mises sur un lieu sec, se forment en rond au lieu de s'espandre, comme leur pesanteur semble les obliger. Dans le vif argent qui nonobstant sa grande pesanteur se forme en petites boules qui a la veüe paroissent parfaictement rondes, si on

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le verse sur un plan en petit quantité. Dans le fil d'or, d'argent, ou autre metail, qui estant mis au feu d'une lampe ou d'une chandelle, la partie qui se fond ne tombe pas, mais se retire vers la partie du fil, qui n'est pas fondue et s'y attache se formant en petite boule pour s'unir plus estroitement au reste du fil.

On remarque dans les gouttes de vif argent que si l'une s'approche de quelqu'autre, elle s'y joinct incontinu. Et dans les Gouttes d'eau dont j'ay parlé, que si quelque corps moite, ou un morceau de pain tendre, ou autre corps semblable la touche, elle y monte avec grande vistesse. Et si ces gouttes d'eau tombent lentement de quelque Corps solide, on apperçoit apres qu'une goutte est tombée qu'il demeure encore de l'eau attachée au cors, qui n'a point suivy la premiere; au contraire, qu'une partie

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de cette eau qui avoit commencé d'estre entrainée par la goutte qui est tombée remonte vers celle, qui est demeurée et surmonte l'inclination naturelle que luy donne sa pesanteur d'aller en bas, et cela paroist encore davantage aux matieres visqueuses, qui remontent d'assez loing pour rejoindre ce qui est demeuré de la mesme matiere, au cors dont elle est tombée. Ces experiences sont si ordinaires qu'on n'en peut pas doubter.

Mais qui peut faire remonter cette eau ou empecher de tomber cette petite goute d'argent, si ce n'est cette vertu naturelle que j'ay nommée ailleurs désir d'union, qui empesche cette eau de continuer le chemin qu'elle avoit commencé, ou qui fait monter cette goutte posée sur un lieu sec, quand on met au dessus d'elle quelque corps un peu humide, si ce n'est qu'estant en petite quantité et

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sa pesanteur estant fort foible, elle est vaincue par cet aultre inclination, qu'ont pareillement les corps humides et moüillez de s'attirer les uns les autres. L'experience suivante fait voir encore cette inclination naturelle.

Si on met sur l'eau plusieurs aiguilles et espingles si petites qu'elles y puissent nager, ce qui ne se peut faire sans donner quelque mouvement a l'eau qui le communique a ces petits corps, lors qu'ils viennent a passer l'un pres de l'autre, ils quictent le mouvement qu'ils avoient et courent d'une vistesse assez grande pour se joindre ensemble, ou bien s'ils sont d'inegale pesanteur, le plus leger va vers le plus pesant, qui ne laisse pas de faire quelque partie du chemin; Et si une de ces aiguilles ou espingles approche de l'autre par une de ses extremitez et qu'elle se trouve de travers on la void tourner de cotté pour se ioindre

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a l'autre de toute sa longueur, et le plus estroictement qu'elle peut. Et si on en met plusieurs dans un vaisseau qui nagent sur l'eau elles se ioignent toutes ensemble en peu de temps si ce n'est que quelques unes passant pres du bord, ne s'y attachent; Et quand elles sont unies ensemble on ne les peut separer qu'avec quelque difficulté; parce que lors qu'on en tire une toutes les autres suivent, comme si elles estoient attachées ensemble par quelque glu. La mesme chose se remarque aux autres petits corps qui nagent sur l'eau.

Quelques uns estiment que le mouvement qu'on appercevoit dans ces petits Corps, ait une autre cause, que ce desir d'union: Ils disent que ces corps enfonceant quelque peu dans l'eau, la font plus profonde autour d'eulx; d'ou vient que les autres qui s'en approchent y courent comme vers un lieu plus bas ou leur pesanteur les fait aller; et disent

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pour preuve de cela, que ces corps estant mis dans un vaisseau de verre remply d'eau, courent au bord et y demeurent attachez; mais que si on les met dans un vaisseau de metail, ils s'assemblent tous au milieu. Et la raison qu'ils donnent de cette diversité est que l'eau mise dans un vaisseau de verre, prend une figure convexe et devient plus basse aux bords qu'au milieu; Et qu'au contraire dans un vaisseau de metail l'eau se leve contre le bord et prend une figure concave, d'ou vient qu'elle est plus basse au milieu qu'aux bords.
Mais l'experience faict voir que de quelque matiere que soïent des vaisseaux, si les bords sont egalement secs ou humides, l'eau prendra dedans la mesme figure. S'ils sont secs ou d'une matiere onctueuse a qui l'eau ne s'attache point elle prendra la figure convexe; et la concave s'ils sont mouillez. Et si un vaisseau est moüilé en quelques endroits

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et sec en d'autres, l'eau prendra la figure convexe aux endroits secs et la concave aux endroits moüillez, et si en penchant le vaisseau, l'eau rencontre quelqu'endroit moüillé elle y monte avec vitesse et se faict concave de convexe qu'elle estoit, et neantmoins combien que l'eau soit plus haute au bord du vaisseau que partout ailleurs, si quelqu'un de ces petits corps qui nagent sur l'eau, s'en approche il ne manquera pas d'y courir et de s'y attacher; soit que le vaisseau soit de metail ou de verre, et que l'eau y soit plus haute, ou plus basse; convexe ou concave.
Et ces petits corps ne s'arrestent et ne s'assemblent point plustost au milieu de la surface de l'eau qu'en quelqu'autre endroit mais indifferemment partout, quand le mouvement de l'eau qui les conduisoit ou leur propre Impetuosité vient a manquer. Toutefois si le vaisseau est estroit ils ne manqueront pas de s'arrester

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au bord, a cause qu'en s'écartant du milieu ils sont incontinent si pres du bord qu'ils en peuvent estre attirés. Mais voicy une autre Experience, qui faict voir evidemment que ce n'est point la profondeur de l'eau qui environne ces petits corps, qui les fait courir l'un vers l'autre.

Mettez sur l'eau de petits corps plus legers que l'eau et qui nagent dessus, enfoncez les dans l'eau pour les moüiller; l'experience faict voir que l'eau montera autour d'eulx au lieu d'enfoncer comme elle faict autour des aiguilles, et neantmoins ils courront l'un vers l'autre quand ils seront en distance convenable aussi bien que les aiguilles. Et ainsy ce ne sera plus la pesanteur de ces Corps, qui faict ce mouvement, comme pour descendre dans un lieu plus bas; puisque ceuxcy vont et sont attirez dans un lieu plus hault. Mais cela se void encore plus evidemment

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si on met un baston sur l'eau pres de ces petits corps qui nagent dessus comme estant plus legers, et qu'on le retire un peu de l'eau sans qu'il l'abandonne tout a faict; Car l'eau ne quictant pas si tost le baston on la void notablement eslevé au dessus de la surface, et neantmoins les petits corps y courent de la mesme façon, que s'il y avoit une concavité. c'est une preuve convainquante, que c'est cette vertu attractive qi les contrainct a cela et les faict surmonter l'inclination contraire que leur donne leur pesanteur. On void aussi que si ces corps sont attirez par le bord du vaisseau ou par quelqu'autre corps, si on met le baston plus pres d'eux ils s'arrestent et prennent un mouvement contraire pour se joindre au baston.

Mais la mesme chose n'arrive pas aux aiguilles, car elles fuyent le baston au lieu de s'en approcher. Et mesme

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elles ne vont point vers le bord et ne s'y attachent point s'il n'est plat ou du moins que la portion de la circonference du vaisseau grande comme l'aiguille ne soit que fort peu differente d'une ligne droite.
J'ay aussi pris garde que les petits corps plus legers que l'eau estant moüillez ne s'attachent pas si aisement aux aiguiilles que lors qu'ils sont secs, ce qui pourroit fortifier la pensée de ceux qui disent que la raison pour laquelle les aiguilles courent l'une vers l'autre est qu'elles sont enfoncées un peu au dessous de la surface de l'eau. Or ce n'a pas esté mon intention de soustenir que cette cause ne contribue rien a l'approchement des aiguilles; mais seulement de faire voir que cette raison ne faict rien contre l'attraction.

On observe encore que si on met l'ouverture d'un verre sur la surface de l'eau elle s'y attache en sorte qu'il y a quelque

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peine a retenir le verre, l'eau le suit quilque espace, et mesme le verre n'est pas hors de danger de se casser si on le retire promptement; et neantmoins comme le verre estoit vuide quand on la mis sur l'eau il n'y peut avoir autre chose que de l'air.

Toutes ces Experiences font voir clairement qu'il n'y a pas lieu de doubter de cette vertu attractive, ou de ce desir d'union, qui oblige les corps de se tenir attachez les uns aux autres.

Il est vray que celle dont je parle a present est fort foible puisqu'elle est vaincue par la pesanteur d'une goutte d'eau; ce qui provient de la petitesse du corps qui retient ou attire, et du peu d'effort qu'il peut faire estant comparé a la grandeur de la Terre qui attire aussi de son costé.

Or puisque nous ne voyons que ces trois causes generalles du mouvement il

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faut examiner de laquelle des trois peut provenir le mouvement que cause la pesanteur.

Pour la proiection je ne voids pas comment la pesanteur en pourroit provenir. nous ne voyons gueres que la percussion parmy les choses inanimées qui produise la proiection. Or la percussion n'est autre chose qu'un poussement fort prompt; quand le moteur n'accompagne le mobile que fort peu de temps. Et c'est par ce moyen qu'agit la rarefaction, lors que la poudre s'estant embrasée et rarefiée dans un canon, pousse avec grande vitesse et violence le boulet qui s'oppose a sa sortie. Il se faict alors une proiection du boulet puisque le feu qui a produict ce mouvement dans le boulet, ne l'accompagne plus.

Il en est de mesme des mines et des tremble-terres qui jettent au loing les rochers, sans qu'il soit besoing que l'air

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rarefié accompagne tousiours ces Corps, pendant tout leur mouvement.

Or on ne peut pas dire que la pesanteur provienne de quelque cause semblable puisqu'elle ne pourroit pas agir egalement en tout lieu et en tout temps comme il seroit necessaire pour produire la pesanteur. Et puis il n'y auroit pas peu de dificulté a rendre raison pourquoy les causes produisent leur effect en tendant vers le centre de la Terre, que vers un autre endroit.

Il faut voir si la pesanteur s'explique mieux par le poussement.
Plusieurs ont feinct des mouvements dans les corps liquides qu'on ne peut découvrir par aucune Experience; Il n'y a que la lumiere du Soleil qui est en perpetuel mouvement. Si donc on suppusoit que la lumiere du Soleil fust un corps ou plustost plusieurs petits corps qui sortant du soleil s'épandent de tous cottez;

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et que ces petits corps eussent leur superficie inegale; comme on la remarque dans tous les corps en les regardant avec le microscope, quand ils viendront a frapper du terre, ils s'attacheront a de semblables petits corps terrestres et les enleveront avec eulx en se reflechissant; et montant ensemble ils contraindront les petits corps qui sont dans l'air a descendre, estant poussez par les precedentes; Et comme il en succede continuellement d'autres a la place des premiers, ils frappent en descendant, tous les corps qu'ils rencontrent et les poussent vers le centre de la Terre, ce qui faict le mouvement que produit la pesanteur; Et comme ceux qui viennent de nouveau rencontrent un corps qui est desia en mouvement cela luy cause l'acceleration.

Mais il faudroit expliquer comment se faict le mouvement de ces petits corps

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qui font la lumiere. d'ou vient qu'ils poussent les parties de l'air plustost vers le centre de la terre, qu d'un autre costé puisqu'ils ne se reflechissent aplomb, en s'esloignant de la Terre, que lors que le Soleil est verical. Pourquoy ils n'ont pas autant de force a pousser les corps pesants vers le haut, puisqu'ils les frappent directement en s'esloignant de la Terre, que les parties de l'air, qui ne reçoivent leur mouvement que de ces premiers.

Comment la pesanteur d'un mesme corps n'est pas beaucoup differente en divers temps et en divers lieux; car il semble que cela debvroit estre puisque le Soleil envoye plus vivement les rayons a midy qu'a son lever, et a son coucher; en Esté qu'en Hyver, aux lieux ou le Soleil est vertical qu'a ceux ou il n'éclaire que fort obliquement; Et que dirons nous de la nuict, particulierement dans ces longues nuicts

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qui durent plusieurs mois. Et quand on supposeroit qu'il demeure en l'air plusieurs de ces petits corps attachez, et ceux de la terre dont ils sont obscurcis, leur mouvement perdroit pourtant beaucoup de sa vigueur; et s'aneantiroit enfin; n'estant plus secondez d'autres nouveaux rayons, pour continuer leur mouvement.

Ces difficultez n'estant pas faciles a resoudre, je ne vois autre chose que l'inclination qu'on apperceoit aux corps a s'unir les uns aux autres, que j'ay nommée attraction, qui puisse estre cause de la pesanteur.

1.   Or si c'est l'attraction mutuelle des corps qui fait la pesanteur, il s'ensuivra qu'un mesme corps tombant de la surface de la terre vers le centre ira plus viste au commencement de son mouvement que s'il commençoit a tomber d'un lieu plus proche du centre. La raison est que l'inclination ou vertu qu'ont les corps de

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s'attirer, estant dans toutes les parties de la Terre, chacune d'elles faict son action sur ce corps; et ainsy les parties de la terre qui sont vers la surface et plus esloignées du centre, agissant aussi sur ce corps, doivent retarder le mouvement que luy imprime le reste de la Terre; mais il faudroit une fort grande profondeur pour y pouvoir remarquer quelque difference; et les plus profondes mines d'or et d'argent ne le sont pas assez pour donner quelque chose sensible.

2.   Comme toutes choses ont leur vertu bornée, celle qu'a la Terre d'attirer les corps ne peut pas estre infinie, puisque la Terre est un agent finy, et qu'il n'y a rien de finy qui n'ayt ses forces bornées.

De ce principe il s'ensuivra qu'un corps terrestre pourroit estre jetté si haut, qu'il ne retomberoit plus a terre; autrement la vertu d'attirer seroit infinie.

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Les petits corps dont i'ay parlé cy devant et qui s'attirent les uns les autres n'étendent pas beaucoup cette vertu, c'est tout au plus de la distance de 6. ou 7. lignes, parce qu'ils sont fort petits, les bords du vaisseau dans lequel on les faict nager attirent de quelque peu plus loing. Que si on vouloit proportionner la grandeur de ces petits corps a la distance dont ils attirent a la grandeur de la Terre, et la distance dont elle peut attirer, cette distance seroit fort grande et telle que nous n'en pourrions pas faire l'experience.
Il ne seroit pas mal a propos de faire cette experience, sur quelque montagne avec quelque grande coulevrine; mais parce qu'on pourroit croire que le boulet se fondroit ou se dissiperoit en l'air, on le recognoistroit en y mettant une baguette de calibre, et du feu d'artifice au bout, et tirant de nuict; car comme la baguette va aussi viste que

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le boulet a la sorite du canon, elle se dissiperoit encore plustost que le boulet tant a cause de sa figure, que de sa matiere.

Il s'ensuivroit aussi de ce principe, (sçavoir que la vertu attractive de la terre est bornée) qu'un corps fort esloigné de la Terre, qui neantmoins ne seroit pas hors la sphere d'activité de sa vertu attractive, n'iroit pas si viste au commencement de son mouvement, que s'il estoit pres de sa surface; comme j'ay remarqué qu'il devroit faire s'il tomboit d'un lieu plus proche du centre de la Terre, que n'est la surface; parce que cette vertu attractive estant affoiblie par l'esloignement du corps, elle ne pourroit pas agir si puissamment sur luy, que s'il en estoit plus pres. Et ainsy un corps peseroit moins qu'il ne seroit sur la surface de la Terre, s'il en estoit eslogné,

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soit que ce fust en l'approchant du centre, soit en l'esloignant; mais ce mesme effecr a des causes differentes, comme je viens de faire voir.

Or i'estime impossible de faire l'experience de cette diversité de la pesanteur par ce qu'elle doibt estre fort petite aux lieux ou nous pouvons aller, et qu'il n'y a point de hauteurs ou de profondeurs assez grandes pour la rendre sensible; Car pour ce qui est de la profondeur il y a trop grande difference entre la grandeur de la partie de la Terre, qui est vers le centre, et de celle qui est vers la surface pour produire une difference sensible en pesanteur; peut estre que la diminution de pesanteur seroit plus sensible dans un grand esloignement de la terre que dans l'enfoncement; mais tout cela a ses difficultez.

L'experience ne s'en pourroit pas faire

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avec des poids, si ce n'est que l'un fust a la surface de la Terre et l'autre au fonds, comme on fait aux mines d'or de Hongrie et de Pologne, ou un fardeau monte pendant que l'autre descend et elles sont fort profondes.
  On pourroit mieux faire espreuve de cela avec un ressort, quoy qu'on ne soit pas asseure, s'il ne se trouveroit point d'alteration dans la force du ressort.
  Passons a une autre chose qui s'ensuivroit si on suppose que la vertu attractive de la Terre soit bornée.

C'est le poinct d'egalité qui se trouveroit dans la vitesse des corps dans leur cheute, c'est a dire qu'il se trouveroit un degre de vitesse, que le mobile ne pourroit outrepasser, apres l'avoir acquis; mais il continueroit de se mouvoir de ce mesme degré de vitesse, jusques au centre de la terre s'il y pouvoit aller; car la

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plus foible attraction, qui se faict autour de ce lieu n'empescheroit pas son impetuosité, comme on void aux pendules dont la vibration n'est pas affoiblie en sa vistesse, quand le corps passe par le lieu ou il est a plomb. La raison de ce point d'egalité est que si la vertu attractive de la Terre est bornée, elle ne pourra pas communiquer au mobile plus de vitesse qu'elle n'a la force d'en donner; car toute la force mouvante a des bornes qu'elle ne peut outrepasser.

Mais pour traitter cette matiere a fonds il faudroit un discours entier, et il y auroit quantité de choses a considerer tant de la part de la vertu attractive, que du mobile. Car encore qu'on peut faire voir que la vitesse n'augmenteroit pas tousiours avec mesme proportion, mais que cette augmentation iroit en diminuant

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a cause de l'affoiblissement de l'action de la vertu attractive, ce ne seroit pas pourtant le poinct d'egalité, qui suppose que la vitesse n'augmente plus du tout mais se conserve en mesme effort.

La resistence du milieu par lequel descend le mobile pourroit aussi contribuer a ce poinct d'egalité, s'il estoit tel, qu'il ne pust estre divisé plus promptement, mais il faudroit examiner si l'augmentation de vitesse ne force point cette resistence, ou s'il se faict un contrebalancement s'action et de resistence.

On pourroit aussi considerer que l'air estant plus grossier et plus pesant soubs la surface de la Terre que dessus il feroit plus de resistence, et pourroit empescher l'augmentation de vitesse, ou mesme la retarder, joinct a cela ce que j'ay dict que la vertu

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attractive de la Terre diminue de force en approchant du centre.

Il est certain que la Terre agissant par son attraction, sur un corps qui se meut desia, luy communique une augmentation de vitesse; mais on peut croire aussi que cette vertu attractive s'affoiblit a mesure que le mobile acquiert une nouvelle vitesse; et qu'estant enfin espuisé, elle ne pourroit plus agir sur le mobile, ny luy communicquer aucun inconvenient, d'ou s'ensuivroit le poinct d'egalite.

De la part du mobile on considerera sa force sa pesanteur et la liaison plus ou moins grande de ses parties pour en empescher la dissipation; estant certain qu'un corps fort pesant et compacte a bien plus de force pour separer l'air que s'il estoit fort leger et que ses parties ne fussent pas bien unies ensemble.

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Mais ie lairay pour cette heure ces considerations. Je diray seulement qu'ayant examiné la cheute de quelques corps fort legers, j'ay trouvez qu'apres estre tombez quelque espace, ils n'augmentoient plus leur vitesse. L'un de ces corps estoit une bale de moüelle de Sureau, qui avoit environ 4. lignes de Diametre, et j'ay remarqué qu'apres estre descendue l'espace d'environ vingt pieds, elle n'augmentoit plus sa vitesse. L'autre corps estoit si leger qu'estant mis sur l'eau, a peine pouvoit on remarquer qu'il enfonceat dedans, quoy qu'il eust quatre a cinq poulces de Diametre. C'estoit une panse ou jabot de coq d'Inde bien nettoyé degraissée et remplie de vent.

Quand ce sorps estoit tombé de 12. pieds de haut on ne voyoit plus augmenter sa vistesse, mais il descendoit

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egalement. Or cette observation ne se peut bien faire qu'en un lieu, ou on se puisse mettre en diverses hauteurs afin d'observer le moment du passage de ces corps; que ce lieu soit assez haut, et qu'il soit renfermé; celuy ou j'ay faict cette observation estoit de cette sorte, et avoit 50. pieds de haut.

J'ay remarqué aussi que ces corps quoy que fort legers vont aussi viste au commencement de leur cheute que les plus pesants, au moins autant que la veüe et l'oüye en peuvent juger. Et je n'ay pu remarquer de difference entre la vitesse de cette petit balle de moüelle de Sureau et une de plomb de mesme volume, quand ie ne les laissois tomber que de quatre ou 5. pieds de haut.

De là on peut inferer que l'augmentation de pesanteur ne cause pas tousiours augmentation de vitesse, si ce n'est qu'apres

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avoir acquis de la vitesse en tombant, cette vitesse devient telle que la resistance ou pesanteur de l'air ou autre milieu, fait un effort sensible sur ce Corps qui tombe et empesche notablement son mouvement; Car ie ne parle icy que de ce qu'on peut découvrir par les sens, et ie ne me mets pas en peine si un des corps devance l'autre de l'espaisseur d'un cheveu.

  Je dis donc que quand la vitesse du corps qui tombe par l'air vers le centre de la Terre, s'augmente de sorte que la resistance de l'air a estre divisé, croissant pareillement, devient enfin sensible dans l'opposition qu'elle fait a la force de la vitesse; alors ce cors ira plus lentement que celuy qui sera plus pesant, et sera tombé d'aussi haut; parce qu'il aura plus de force a vaincre la resistence de l'air a estre divisé si promptement; Et ainsy cette resistance

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luy sera encore insensible.
  J'ay observé tres exactement par experience recommencé plusieurs fois, que laissant tomber un boulet de plomb, pesant pres de trois quarterons et un autre de bois de chesne de mesme volume de 147. pieds de haut, dans un lieu clos qui estoit la nef de l'eglise Cathedrale de Beauvais, ils descendoient de mesme vitesse, et tomboient en mesme temps de sorte qu'on n'entendoit qu'un seul coup sur une plaque de cuivre qu'ils frappoient; et mesme on les voyoit en l'air se cotoyer.

Je rapporteray icy une particularité que j'ay remarquée dans cette observation: C'est que combienque ces deux corps ne fussent esloignez l'un de l'autre au commencement de leur cheute que d'environ un pouce, ou un pouce et demy, leur distance estoit

[ 150v ]

en bas d'environ demy pied ou peu plus; et il y a beaucoup d'apparence que c'estoit le boulet de bois qui estoit un peu poussé a costé, par le mouvement que donnoit a l'air celuy de plomb.

Je sçay que quelques uns ayant faict la mesme experience a l'air ouvert, ont trouvé que le plomb arrivoit plustost a terre que le bois, mais ie suis asseuré que s'ils prennent la peine de la faire dans un lieu fermé, elle leur reussira comme j'ay dict.




Jacques Buot

[ 151 ]

Du mercredy 21e aoust
 1669.


Le Mercredy 21e. iour d'aoust 1669. La compagnie estant assemblée on a continué a traitter des causes de la Pesanteur, touchant lesquelles M. Buot a lû le memoire suivant.

Toutes les opinions qu'on a eües sur la cause de la Pesanteur peuvent estre reduictes a trois principales.

Dans la premiere on suppose que la Pesanteur est une vertu naturelle et absolue du Corps par laquelle il descend de luy mesme vers la Terre.

Dans la seconde, on veut qu'il y ait une vertu attractive a la terre qui contrainct tous les Corps pesants a descendre vers une centre, Et cette opinion est encores

[ 151v ]

de deux sortes.
Car il y a des personnes qui pretendent que cette vertu attractive n'est qu'au seul centre de la Terre auquel ils donnent le pouvoir d'attirer les corps denses plus fortement ou plus foiblement selon qu'ils ont plus ou moins de densité; Et d'esloigner les plus rares selon qu'ils ont une grande ou une moindre rareté.

D'autres veulent que cette vertu soit non seulement au centre mais mesme ils la veulent en toutes les parties de la terre qui s'attirent mutuellement par le desir reciproque qu'elles ont a s'unir les unes aux autres a cause de leur ressemblance. Ils veulent mesme que cette vertu ne soit pas seulement dans les parties de notre terre, car ils pretendent qu'elle se trouve aussi dans les autres corps en sorte que par son moyen l'union des parties lunaires (par ex.) compose le Corps de la lune comme

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l'amas des parties Joviales qui se faict par cette mesme vertu fait la planete que nous nommons Jupiter et ainsy des autres, toutesfois avec cette condition que la plus grande masse doibt attirer les moindres parties autour d'elle; d'ou vient la figure Spherique qu'ont les corps, et qui fait que leur centre de grandeur doibt estre aussy leur centre de vertu, Et ainsy ceux de cette derniere opinion pretendent rendre raison de celle des autres qui donne cette vertu attractive des graves au seul centre de la terre.

Dans la troisiesme opinion, on pretend que la cheute des corps vers la terre n'est que l'effect du mouvement de la masse elementaire, laquelle estant composée de parties qui se meuvent circulairement toutes sont premierement determinées par ce mouvement a s'esloigner du centre, c'est pourquoy elles pourroient passer pour legers. Mais d'autant qu'il y en a qui

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a cause de leur figure et de leur grosseur, sont plus mobiles que les autres, elles forcent celles qui sont moins mobiles a leur quicter la place en les poussant vers le centre que les plus mobiles abandonnent. Et aussi ceux de cette opinion prennent cette expulsion, pour la cause de la cheute des corps a laquelle on donne le nom de pesanteur.

Je croys que la premiere de ces opinions ne trouvera point de deffenseurs dans une Celebre Compagnie qui ne se satisfaict pas des mots de vertu naturelle qui faict la descente des corps, car c'est la cause de cette descente et la nature de cette vertu qu'elle recherche.

Je ne m'arresteray pas aussi a l'opinion de ceux qui donne une vertu attractive au seul centre de la terre, puisque le Centre n'estant qu'un point. il ne peut pas avoir plus de vertu pour attirer ou repousser les corps, qu'en ont tous les autres points qu'on voudra asigner a l'entour de

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ce centre dans la masse de la terre;
Pour l'opinion de ceux qui soustiennent que les parties semblables du monde ont une vertu si puissante et un si grand desir d'union que toutes s'attirent reciproquement les unes les autres, ie veux bien advoüer aux personnes illustres qui la soustiennent que jusques icy ny moy ny possible bien d'autres n'ont point conceu la cause de tels desirs, et de telles affections dans les choses inanimées qui n'ont ny sentiment pour ce desir ny connoissance pour diriger leur mouvement a cette union.

Neantmoins on apporte des exemples par les quels on pretend monstrer qu'il y a des corps insensibles qui ont un penchant naturel pour cette union. Comme il arrive lors que des aiguilles deliées nagent sur de l'eau contenue dans un vase, lesquelles selon quelques occasions se portent vers les extremitez du vase, et qui en d'autres occasions s'assemblent et s'unissent vers le

[ 153v ]

milieu de la surface de cette eau.
On dit encore que si on prend du sirop au bout d'un baston en quantité suffisante, pour former une goutte sous ce baston, laquelle en descendant ne laisse d'y demeurer joincte par un long filet, lequel enfin vient si delié qu'il ne resiste plus assez pour soustenir la pesanteur de cette goutte, c'est pourquoy il se doibt rompre et la goutte tombe. Alors on void dict on un effect manifeste du desir que les parties ont pour leur union, car aussitost la partie de ce filet qui reste au bout du baston, remonte en haut pour s'unir au Sirop du baston, et la petite piramide qui reste sur la goutte descend pour se reunir avec elle et ne former ensemble qu'une mesme goutte.

On peut respondre que ces exemples sont bien esloignez de monstrer un desir d'union dans les parties semblables, S'il est vray que la cause de l'aproche des aiguilles et du rassemblage des parties estendues du

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sirop viennent d'une autre cause que de ce desir d'union. Car ie pense que pour rendre raison de ce que les aiguilles s'assemblent quelquesfois sur l'eau contenue dans un vase, il faut examiner quelle peut estre la superficie de cette eau, et s'il n'y avoit point quelque pente qui fist couler ces aiguilles par leur propre poids aux lieux les plus bas.

L'eau peut avoir la superficie disposée dans un vase en trois manieres differentes. Car la vase peut estre remply si juste que la superficie de l'eau demeurera dans un plan assez parfaict, mais si ensuitte on y verse d'autre eau assez doucement, elle s'eslevera spheriquement au dessus des bords du vase. Tout au contraire si le vase n'est plain, ses bords venans a s'humecter, l'eau s'eslevera autour d'eulx et laissera par consequent la superficie de l'eau concave.

Cela posé il est certain que si on met des aiguilles si petites qu'elles puissent estre soustenues

[ 154v ]

sur cette surface concave de l'eau, leur propre poids les fera descendre vers le milieu ou elles se ioindront d'autant plus viste qu'elles s'approcheront les unes des autres en cet endroict, puisque leur propre pesanteur y rend encore cette eau plus basse; Et mesme cette pesanteur seule pourroit estre suffisante de les assembler sur une superficie toute platte pourveu qu'on les y mist assez proche les unes des autres, d'autant que par leur poids l'eau viendroit plus basse et s'esleveroit a proportion vers les bords du vase.

Si au contraire l'eau a sa surface convexe, il est evident que ces aiguilles descendront vers les bords du vase et qu'elles se joindront ensemble a ses extremitez au cas qu'on les aye posé l'une apres l'autre au mesme endroit du panchant de l'eau. Et en tout cela je ne connois aucun desir d'union dans ces aiguilles, puisque la pante de l'eau est la cause de cette action la quelle toutesfois pourroit bien estre aidée par la vertu aymantine

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qui se trouve en l'acier mais comme elle y est tres foible, et comme l'on pretend que l'action de l'aymant se faict par expulsion on en tirera pas advantage pour monstrer qu'il y a un desir d'union dans ces aiguilles.

Pour l'autre exemple si on considere que le Sirop contient une glu qui cole lie et attache ses parties les unes aux autres, en sorte qu'elle resiste a leur separation il ne sera pas difficile de comprendre comme la goutte n'est separée du Sirop qui tient au baston, que par la force de la pesanteur de la goutte qui reduict toutes les parties du Sirop contenues entre la goutte et le baston, a un estat violent par leur extreme estendue, mais aussitost, que ce filet est rompu les parties dont il estoit composé, sçavoir les deux bouts de ce filet n'estant plus contrainctes se remettent en leur estat naturel et se retirent les unes vers le baston ou elles sont liées et les autres vers la goutte, ou leur propre pesanteur aide encore a les y porter.

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  On voit presque la mesme chose dans la corde d'une viole ou d'un luth, laquelle estant bandée avec tant de force, et ses parties tellement alongées que la corde est contrainte de rompre; Alors les bouts de cette corde s'accourcissent, et de l'estat ou ils estoient tenus par la violence de leur tension se remettent en leur estat naturel, l'un remontant vers la cheville de la violle, et l'autre se retirant vers le chevalet. Et pour cela personne ne dit pas qu'il y ait un desir d'union dans les parties de cette corde non plus que dans les parties du Sirop qui n'ont esté separees qu'au lieu de la rupture, ou elles ne se rejoignent plus, mais reprennant seulement leur estat naturel comme une espece de ressort, lors qu'elles sont delivrées de l'estat contrainct ou elles estoient tenues par la violende de leur tension.

Ceux de la 3e opinion supposent premierement le mouvement circulaire de tout le Systeme terrestre.
  Ils supposent secondement qu' il y a des parties

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dans ce systeme qui sont grossieres et plus difficiles a se mouvoir et qu'il y en a d'autres tres deliées, lesquelles parce qu'elles sont dans un continuel mouvement, sont plus propres a recevoir celuy qui leur peut venir d'ailleurs, lesquelles on nomme Etherées, et qu'il y en a encores d'autres qui participent de ces deux comme sont par exemple l'eau et l'air vaporeux, qui sont moyennes entre les parties plus grossieres et les plus mobiles; Enfin ils pretendent que tous les corps tels qu'ils soient estans agitez par un mouvement circulaire, tendent tousiours a s'esloigner du centre de ce mouvement circulaire.

Pour la premiere supposition, je croy qu'il y a peu d'astronomes qui ne l'accordent et qui ne soient de ce sentiment.

Si la Seconde supposition n'estoit veritable ceux qui la font pretendent qu'il n'y auroit aucun corps solide ny aucun fluide, car ils establissent la solidité du corps dans le repos de

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ses parties les unes a l'egard des autres, et sa fluidité dans le continuel mouvement des parties insensibles de la matiere fluide.

Enfin les exemples qu'on tire de la fonde [fronde] et de la Table, qui se meut horisontalement autour de son axe comme si c'estoit une grande pyroüette persuadant assez que les corps qui tournent circulairement acquierent un mouvement qui tend a les esloigner du centre.

Sur ces positions on a estably la cause de la pesanteur comme j'ay dict, en ce que les parties Etherées qui sont les plus fluides et les plus mobiles, reçoivent plus facilement l'impression la force et la determination a s'en esloigner; Et qui par consequent y doivent repousser les plus grossieres et les moins agitées, lors qu'elles en sont separées, par quelque effort qui peut d'abord surmonter la resistence de celles qu'elles rencontrent, et qui les contraint aussi de descendre au lieu qu'elles quictent.

[ 157 ]

Mais enfin comme cette agitation vient a cesser par la continuelle resistance des parties les plus eslevées et les plus mobiles. Celles qui estoient descendues, n'ayant perdu aucune chose de leur agitation, et de plus estant encore aidées par le mouvement circulaire, elles ne peuvent manquer de remonter et de presser ces autres parties grossieres qui demeurent avec bien moins d'agitation, c'est pourquoy elles sont ainsy repoussées vers la Terre, car d'autant que la force par laquelle l'Ether tend a s'esloigner de son Centre, ne peut avoir son effect, si ces parties qui s'en esloignent, ne montent en la place de quelques parties terrestres, qui descendent a mesme temps en la leur, a cause qu'il n'y a aucun espace autour de la Terre qui ne soit remply des parties de l'Ether qui ont pareille force et qui par consequent ne se chassent pas l'une l'autre hors de leur place. Il est evident que la mesme force ne se trouvant pas aux parties de

[ 157v ]

la Terre (comme j'ay montré) s'il s'en treuve quelqu'une plus esloignée du centre que ne sont les parties d'Ether qui peuvent monter en sa place, celles cy y monteront et feront descendre les autres en la leur.
Ainsy nous voyons qu'un morceau de bois estant jetté en l'air est repoussée vers la terre, parce que l'Ether qui est contenu dans ses pores est en moindre quantité que celuy qui est contenu dans une masse egale d'air, et qui par consequent a moins de mouvement. C'est pourquoy le bois n'ayant pas tant d'agitation que l'air qui est entre luy et la terre faict plus d'effort pour s'esloigner du Centre et consequemment y doibt chasser le bois.

Nous voyons au contraire que si ce bois est mis au fond d'un vase dans lequel on vienne a verser de l'eau, le bois s'eslevera fu fond et ira sur l'eau, a cause que l'Ether qui est renfermé dans ses pores est en plus grande quantité que celuy qui peut

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estre contenu dans une masse egale d'eau et cette cause est si veritable, que si on ouvre les pores du bois qui renferment cet Ether, en raspant le Bois en poussiere assez deliée, cette raspure tombera au fond de l'eau, a cause que le peu d'Ether qui est renfermé dans ces petits grains ne tient pas tant de volume que celuy qui est dans les mesmes volumes de l'eau.

Il y a plusieurs experiences a faire sur ce subiect, et qui le pourront beaucoup esclaircir. Et mesme je pretends monstrer par elles que les corps plus solides ne sont pas poussez par le mouvement circulaire au delà de leur propre sphere, que Mr. Descartes appelle Tourbillon ou vortex, encore qu'il prenne ce principe pour monstrer la cause des Comettes qu'il suppose beaucoup au delà de Saturne, contre ce qui a esté observé. Et que M. de Roberval a monstré

[ 158v ]

qu'elles sont au dessous*). J'en donneray les moyens et les figures.


*)  Roberval, Aristarchus, 2e ed. 1647, 'De Cometis', p. 48-; p. 57: "Haec de Cometis Atmosphaerae Systematis Terreni, quorum parallaxim si quis aliquando observaverit, reperiet procul dubio parallaxi Lunae longè cedere, forsan etiam duplò vel triplò minorem".




Christiaan Huygens

[ 164 ]

Du mercredy 28e aoust
 1669.


Le Mercredy 28e. aoust 1669. La compagnie estant assemblée on a continué a traitter des Causes de la Pesanteur, et Mr. Hugens a lû un memoire qu'il a faict touchant cette matiere en ces termes.

Pour chercher une Cause intelligible de la pesanteur il faut voir comment il se peut faire, en ne supposant dans la nature que des Corps faicts d'une mesme matiere, dans lesquels on ne considere nulle qualité, ny inclination a s'approcher les uns des autres, mais seulement des differentes grandeurs, figures et mouvements;

[...]

Voir: Oeuvres complètes de Christiaan Huygens, T. XIX, p. 631-640
image , texte , Ned.




Roberval & Mariotte

[ 180 ]

Du mercredy 4e septembre
 1669.


Le mercredy 4e. septembre 1669. La compagnie estant assemblée M. de Roberval qu'on auoit nommé avec Mr. Mariotte pour examiner ensemble l'ecrit touchant les causes de la pesanteur lû par Mr. Hugens dans la derniere assemblée, en a faict son rapport a la Compagnie et a lû le memoire qui suit:

Il y a plusieurs choses dans l'escrit de Mr Hugens qui nous ont semblé avoir besoing d'eclaircissement ou de preuve.

[...]

Voir: Oeuvres complètes de Christiaan Huygens, T. XIX, p. 640-642
image , texte , Ned.




Réplique de Huygens

[ 191 ]

Du mercredy 23e octobre
 1669.


Le Mercredy 23e. iour d'octobre 1669. La compagnie estant assemblée M. Hugens pour respondre aux obiections proposées par M. de Roberval dans l'assemblée du 4e. Septembre dernier a lû le memoire suivant.

A la premiere obiection ie respond que i'exclus de la nature les qualitez attractives et expulsives parce que ie cherche une cause intelligible de la pesanteur,

[...]

Voir: Oeuvres complètes de Christiaan Huygens, T. XIX, p. 642-644
image , texte , Ned.




Jean-Baptiste Du Hamel

[ 198 ]

Du mercredy 6e nov.bre
 1669.


Le Mercredy 6e. novembre 1669. la Compagnie estant assemblé on a continué a Traitter des causes de la Pesanteur, et on a lû un memoire que M. Du Hamel a faict sur ce subiect en ces Termes.

La Pesanteur des Corps est du nombre de ces choses que tout le monde croit connoistre et qui sont neantmoins les plus inconnües, comme des nottre enfance nous avons veu que les corps pesants descendent et que ceux que l'on nomme legers montoient en s'esloignant du centre de la Terre, nous avons jugé qu'il y avoit quelque cause qui faisoit que les uns tomboient er que les autres s'eslevoient, et comme nous ne pouvions rien appercevoir qui

[ 198v ]

pust produire ces mouvements, nous avons crû que leurs principes estoient dans les corps mesmes, ce qui faict que les uns descendent, nous l'avons appellé pesanteur, et nous avons donné le nom de legereté a cette qualité ou vertu, ou cause qui fait que les corps s'esloignent du centre vers la circonference.
quoy qu'il se puisse faire que ces qualitez de pesanteur et de legereté soient plustost relatives qu'absolues, car l'huile de Tartre par exemple est pesante a l'égard de l'esprit de vin, et legere a l'esgard du vif argent, et quand nos sens nous ont appris que les corps pesants tomboient et que nous avons jugé qu'il y avoit quelque cause de ce mouvement nos sens ny notre raison ne nous ont point trompez, mais quand nous avons inferé de là que le principe de ce mouvement estoit dans les corps pesants parce que nous n'en pouvions decouvrir d'autre et

[ 199 ]

que nous avons crû que la pierre avoit une inclination naturelle qui la portoit vers le Centre de la Terre, peut estre que nous nous sommes trompez, et que nous n'avons aucune idée claire et distincte, ny de ce principe interne que nous appellons pesanteur ny de cette Inclination naturelle que nous donnons a des corps inanimez, et qui n'ont aucune connoissance,
et comme quelques uns ont remarqué fort iudicieusement une grande partie de la confusion de nos idées et de nos faux iugements vient de ce que nous attribuons au corps ce qui ne peut convenir qu'à l'esprit, comme la connoissance le choix l'inclination le desir et cent autres mouvements de l'esprit, et au Contraire nous donnons souvent a l'esprit les affections des corps, comme l'estendue et la division,
Il se peut faire neantmoins qu'il y ait des affections

[ 199v ]

ou proprietez si generalles qu'elles soient communes aux corps et aux esprits, comme le mouvement local, ou l'inclination a se mouvoir et à rechercher sa perfection, Et de cette maniere l'opinion commune, qui veut que la pesanteur soit un principe interne du mouvement, vers le centre de la Terre peut avoir sa probabilité, car encore que le mouvement ne puisse venir du fonds de la matiere, et qu'un corps ne soit ny plus ny moins corps, soit qu'il se meuve ou qu'il soit en repos, Il y a toutefois quelque apparence que l'autheur de la nature a donné a chaque element ou petit Corps dont les autres sont composez, ou les mouvements qui leur sont propres ou les principes de ces mouvemens.
Et quoy qu'on dise il est assez difficile de croire que le feu n'a pas en soy le Principe de son mouvement, qu'un arc bandé ne fait pas effort pour se

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redresser, et qu'une matiere subtile qui tasche de se faire passage par les pores estraicis, de la superficie concave, produict ce mouvement de ressort. Il y a peu d'apparence que cette matiere subtile ne trouve tousiours son passage par les pores du bois quelques estroits qu'ils puissent estre. Et si elle frappe avec effort contre les parties solides de l'arc bandé, pourquoy ne luy fait elle point changer de place.

Mais sans entrer dans cette question generalle on peut dire que le principe du mouvement des corps pesants est dans eux mesmes, mais qu'il a besoing d'estre determiné par le Corps de la terre. Car si nous la supposons transportée loing de son lieu ou elle est maintenant, ou mesme anneantie, il n'y a pas d'apparence que les corps pesants, conservassent le mesme

[ 200v ]

mouvement et la mesme inclination pour un poinct imaginaire que l'on appelle centre et qui n'est point differend des autres, On ne peut pas doubter qu'une partie de la Lune separée du corps mesme de la Lune ne se meuve de la mesme maniere pour se reunir a son tout.
Comme cette determination est Physique et que la pierre n'a pas de connoissance si la Terre est presente ou non il fault qu'il sorte quelque chose de la Terre qui excite pour ainsy dire ce mouvement dans la pierre, peut estre comme il sort quelque chose de l'aymant qui donne le mouvement au fer quoyque la maniere dont se faict ce mouvement et dans les corps pesants et dans le fer soit egalement difficille; Car mettant apart les qualitez

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qui sont inconcevables ces escoulements substantiels qui sortent de la terre, et qui selon quelqu'uns doivent attirer les corps pesants ou ils passent a travers les pores de la pierre qui doibt tomber, et ainsy passant oultre ils ne peuvent pas l'attirer, ou ils frappent contre les parties solides, et pout lors ils repousseront plustost la pierre qu'ils ne l'attireront,
Tout ce que l'on peut donc respondre pour soustenir l'opinion commune est que le principe du mouvement des corps pesants est dans eulx mesmes, qu'ils ne sont point attirez par la terre, mais que leur mouvement est seulement determiné par ces escoulements substantiels qui sortent de la Terre.

Nous ne pouvons pas nier que tous les corps solides ne respandent ces sortes d'écoulements comme nous ferons voir ailleurs, et qu'ils n'ayent comme leur atmospheres. J'ay veu entre les mains de

[ 201v ]

Mr. Boyle deux phioles chacune a demy pleine de sa liqueur, Ces deux phioles estant approchées l'une de l'autre, sans se toucher paroissent jetter une fumée espaisse, ce qui peut eclaircir ces sortes de mouvements, dont j'ay parlé qui viennent des principes interieurs, et qui ont seulement besoing de quelques corps pour les determiner.

Il semble mesme que nous ne pouvons pas nier qu'il n'y ait une espece d'inclination entre les Corps qui soit la cause de leurs mouvements; et qu'un corps ne cherche un autre avec lequel il a plus de conformité. car pour ne parler point du vif argent qui monte de soy mesme le long d'un cylindre d'or qui fait que le mesme vif argent ne s'aiuste point avec le bois et les corps vegetables, qu'il s'y tourne en petits boulles lors qu'il les touche, au contraire estant dans des vases metalliques, excepté le fer, il s'applanit ou se creuse mesme

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pour se joindre plus aisément avec eulx. Pourquoy l'eau dans un verre se creuse au milieu et s'esleve aux extremitez, et que le vif argent faict le contraire, il semble qu'il n'y a pas d'autre raison que la conformité de l'eau avec le verre, avec lequel elle s'aiuste mieux qu'avec l'air.
Que si l'eau n'avoit aucune attache ou inclination pour le verre elle conserveroit une surface convexe dont le centre seroit celuy de la Terre, et elle paroistroit au sens toute platte, que si au contraire l'eau n'avoit aucune pesanteur, et une grande conformité avec le verre, elle prendroit une figure concave, et entierement semblable a celle du verre, mais comme elle a son poids, et quelque amitié pour ainsy dire avec le verre, elle partage en quelque maniere ces deux inclinations, elle se tient un peu enfoncée vers le milieu, et eslevée vers les extremitez pourveu

[ 202v ]

que le verre soit net, car s'il y a de l'huile ou de la graisse contre le verre, l'eau au lieu de s'eslever vers les extremitez, s'y abbaisse, de mesme que le vif argent qui dans le verre prend une figure convexe parce qu'il s'ajuste mieux avec l'air qu'avec le verre et la repugnance qu'elle a avec l'air faict que le verre estant plein et pour ainsy dire comble l'eau prend une figure convexe et s'esleve contre son propre poids pour s'attacher aux extremitez du verre.

On pourroit peut estre par là expliquer un grand nombre de moouvements que nous attribuons a la Sympathie ou antipathie; car comme quelqu'uns ont remarqué que Il n'y a presque point de corps qui n'ayt quelque chaleur et par consequent quelque mouvement

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dans ses parties insensibles, qui estant meüs d'un mesme mouvement que d'autres avec lesquelles elles conviennent en figure, grandeur et autres qualitez font ces mouvements d'inclination ou de Sympathie, comme si vous remuez du sable dans un vase, les parties qui s'ajustent le mieux ensemble et qui sont comme dans un mesme ton, s'assemblent les unes avec les autres, celles qui sont plus dissemblables se separent,
ainsy nous voyons que deux gouttes d'eau ou de vif argent s'unissent ensemble quand l'une a attrapé l'autre pourveu qu'elles ne soient pas meslées avec de la poussiere ou quelque corps estranger; mais l'esprit de vin ne se mesle pas avec l'huile commune ny l'huile de Tartre avec le vif argent, Ces liqueurs dissemblables s'arrondissent en forme de boulles ou d'ovale selon qu'elles sont plus ou moins pressées par les corps fluides qui les environnent comme nous voyons

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que les Gouttes d'huyle, qui nagent sur l'eau ont d'ordinaire leur superficie superieure un peu applanie par le poids de l'air qui les presse, celle de dessous est plus ronde, peut estre parce qu'il y a moins d'inegalité entre le poids de l'huile, et celuy de l'eau.

Je ne doubte point que ces mouvements de pesanteur, de legereté, et tous ceux que nous avons nommez d'inclination ne se puissent expliquer par les loix Mechaniques, qui satisfont bien plus l'esprit, et forment des idées bien plus claires et distinctes que ces noms generaux, d'inclination naturelle, ou d'amitié que les Corps ont les uns pour les autres, et ainsy ie ne nie point que l'opinion de Mr. des Cartes touchant la pesanteur des corps ne se puisse deffendre de la maniere que mess. Hugens et Buhot ont expliqué et l'experience que Mr. Hugens a faict voir de la scieure de

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Boüis qui agitée avec l'eau dans un bassin s'escarte vers les extremitez, mais quand il ne reste plus que le mouvement de l'eau, cette scieure s'assemble vers le milieu, Cette experience disie donne beaucoup de jour a l'opinion de Mr. des Cartes, qui est que la matiere subtile qui est autour de la Terre estant plus agitée que les parties terrestres qui nagent dans cet aether, elle tend a s'esloigner plus fortement du Centre, et ainsy elle substitue en sa place ces parties grossieres, sur lesquelles la matiere subtile a plus de prise pour l'agiter de differents costez et partager son mouvement; ainsy estant comme immobile a l'égard de cette matiere plus subtile et plus agitée elle est repoussée de tous cottez vers le centre,
Je ne doubte point que cette opinion ne souffre ces difficultez aussi bien que les autres, Il semble mesme que ces parties Terrestres estant agitées par l'aether

[ 204v ]

devroient surnager, et s'eslever plustost que de tendre vers le Centre, comme nous voyons que le grain de blé estant criblé, les parties les plus grossieres et mesme les plus pesantes s'assemblent au dessus du bled; Car si ces parties grossieres sont poussé diversement par les parties de l'aether, les unes en hault les autres en bas, il semble que celles dont la figure ne s'aiuste pas si bien ensemble s'esleveront au dessus des autres, comme des ordures, les sables, cailloux, paroissent au dessus du blé quand on le crible, On peut obiecter d'autres difficultez, et je ne doubte point que l'on ne puisse aisément y satisfaire.

Pour conclure il me semble que la question despend d'une autre plus generale, si un corps a un mouvement qui luy soit naturel, s'il se peut mouvoir de soy mesme, comme nous avons dict de l'arc bandé; ou si tout le mouvement qui est dans

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un corps luy est communiqué par un autre; Car si la premiere Opinion est vraye, il semble que le principe actif de la pesanteur est dans le corps mesme; que si un corps ne se meut point que par un autre, il semble que jusqu'a present on n'a rien trouvé de plus vraysemblable que l'opinion de Mr. des Cartes;
Car nous pouvons concevoir la Terre, l'eau et l'air comme des Corps grossiers qui nagent dans une matiere fluide et tres subtile, qui remplit les pores des corps terrestres, qui estant moins propres au mouvement, que cette matiere subtile, cellecy les repousse vers le Centre, et peut estre que ce corps fluide est cause de la rondeur de la Terre et des astres, Et il est plus aisé de concevoir un corps fort subtil et delié, qu'un grand vuide dans la nature qui ne peut estre d'aucun usage. Quand on a osté tout l'air du recipient de verre dans la machine de Mr.

[ 205v ]

Boile en sorte que par le moyen des soufflets on ne peut plus faire remuer une plume, il y a bien de l'apparence que ce vaisseau de verre est vuide d'air et plein d'une matiere plus subtile, car une plume y descend quatre fois plus viste que quand il y a de l'air, et il est assez difficile de comprendre comme une plume pourroit descendre dans un espace entierement vuide; Cela faict voir aussi que le poids de l'air ne peut estre la cause de la descente des Corps pesants.




Edme Mariotte

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Du mercredy 13e novemb.
 1669.


Le Mercredy 13e. novembre 1669. la Compagnie s'estant assemblé, on a continué a traitter des causes de la Pesanteur, touchant les quelles Mr. Mariotte a lû le memoire qui suit.

De toutes les Opinions qui ont esté jusqu'icy proposées touchant les causes de la Pesanteur, je n'en trouve point de plus probable que celle de M. Frenicle qui a faict voir que la Pesanteur des corps terrestres est un effort du mouvement de ces corps vers le centre de la Terre.

Pour confirmer cette Opinion ie remarque que lors qu'un Corps a esté meu d'un lieu a un autre avec une certaine vistesse, il continue a se mouvoir selon la mesme ligne droite avec la mesme vistesse tres prochainement, or en cet effect

[ 206v ]

il ne reste rien du corps qui a donné le mouvement dans celuy qui continue a se mouvoir, car si on attache une corde a une boule avec de la cire ou autre chose, et qu'on la tire si fort que la cire se detache, la boulle ayant esté traisnée par un petit espace pendant qu'elle estoit attachée, elle ne laissera pas de continuer a se mouvoir, et toutes fois on ne peut pas dire qu'il soit rien passé ny de la corde ny de la main qui l'a tirée dans cette boulle;
il reste donc de concevoir la cause de ce mouvement estre seulement une disposition a se mouvoir du cotté ou elle se meut, ou une vertu inherente a cette boulle produicte par le mouvement qu'on luy a faict faire, qu'on ne peut autrement expliquer ny deffinir puis qu'il n'y a rien de semblable dans la nature. Et cette disposition ou vertu se pert entierement au premier moment qu'elle

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est arrestée. On voit l'effect de ce mouvement imprimé particulierement en une pendule a qui on a donné un mouvement circulaire car le petit poids qui est au bas de la pendule fera ensuitte tout seul plus de 200 tours, dont ceux qui se suivent immediatement n'ont aucune difference sensible entre eulx, d'ou l'on peut juger que si l'air ne resistoit point a ce mouvement circulaire ny le frottement du fil vers son poinct de suspension, et que le poids n'eust pas un autre mouvement vers le Centre, ce mouvement continueroit tousiours,
Et on peut Croire que c'est une vertu Inherente par l'analogie d'une chandelle qui en allume une autre, car supposé que la flame fust invisible et qu'on vist seulement l'une et l'autre chandelle descroistre et s'user on ne parleroit pas mal si on disoit que par

[ 207v ]

l'approche de la premiere chandelle la 2e auroit conceu une vertu de s'user et brusler qu'elle conserve ensuitte independemment de la premiere.

On peut concevoir par ce mouvement celuy des Corps pesants vers le Centre, c'est a dire qu'ils ont une disposition ou une vertu a se mouvoir vers les autres Corps qui leur est naturelle et adherente, et qui ne se perd point quoy qu'on les tienne en repos par violence du moins lors qu'ils n'en sont pas trop esloignez des autres corps,
Nous appellons ce mouvement mouvement de Jonction ou d'aggregation dont on voit beaucoup d'autres exemples en la nature, Si une boulette de vif argent est approchée d'une autre jusques a ce qu'elle la touche, d'abord les autres parties voisines conçoivent et prennent un mouvement l'une vers l'autre jusques a ce qu'elles se soient mises en une

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seule boule, l'eau et l'air font le mesme, mais si on approche une boulette de vif argent aupres d'une d'eau, elles se toucheront, sans se mouvoir l'une vers l'autre, Que si on dict que les pores de l'eau et du vif argent ne sont pas disposez de mesme et que leurs parties ne peuvent entrer respectivement dans le pores l'une de l'autre, on respond qu'il ne suffit pas qu'une cheville soit aupres d'un trou proportionné a sa grosseur et figure pour l'y faire entrer, mais qu'il fault qu'elle y soit poussée;
On void aussi ce mouvement respectif dans l'ayment et le fer, l'un vers l'autre lors qu'ils sont a une certaine distance, et mesme dans l'acier et le fer dans le fer chaud et l'estain fondu, car si on met du verre ou du bois dans de l'estain fondu il ne s'y en attache point comme au fer chaud. Voicy donc une Hypothese qu'on peut

[ 208v ]

establir que la Terre, les corps des Planettes, comme la Lune Jupiter etc. sont des corps Spheriques et qu'ils ne le seroient pas si leurs parties n'avoient ce mouvement de Jonctions, car en tournant sur leurs axes les parties exterieures se mouvent [mouvant] selon les tangentes s'escarteroient et se dissiperoient en l'air; il a donc fallu qu'ils eussent un mouvement respectif, et les Corps plus solides et denses l'ont plus puissant que les subtiles comme l'air etc.

Soient donc plusieurs petits corps comme A. B. C. D. etc. qui

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ayent ce mouvement de Jonction respectif. Or le Corps A se portant vers tous ces autres Corps estant parvenu en I. ne s'arretera pas, car il est bien moins poussé par cette vertu naturelle vers D et B. que vers les autres petits Corps dont il continuera a se mouvoir parmy eulx s'il n'est arresté jusques a ce qu'il soit comme vers le petit Corps E, ou il puisse estre egalement distant de tous les autres et en un equilibre, et les autres Corps faisants de mesme ils se Joindront tous et les liquides plus subtils seront excluds du milieu par les autres plus condensés.

Or ce mouvement vers le Centre est quelques fois surpassé par le mouvement de Jonction de quelques corps particuliers, comme lors qu'une voute d'eau est sur de la graisse, si on la touche d'un batton un peu moüillé elle

[ 209v ]

s'esleve vers le batton, et si on met un tres petit iuyau de verre humide par son bout extreme dans l'eau, l'eau s'eslevera dedans, jusques a un pouce ou deux, ce qui n'arrivera pas si c'est du vif argent, mais si le Tuyau est d'or ou d'estain le vif argent s'eslevera dont il faut voir l'experience,
Le mouvement de l'aymant et du fer l'un vers l'autre peut faire comprendre que la pesanteur est un mouvement, car si on avoit une tres grosse pierre d'aymant et une boulle d'acier fort proche, et qu'on mist la main entre deux, on sentiroit un effort et un pressement de cette boulle qu'on pourroit appeller aussi bien pesanteur que effort d'une pierre quand on la soutient. On peut encore concevoir cet effort par celuy que deux hommes font pour se pousser l'un l'autre en arriere, que si on dict qu'il y a de certains petits

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Corps qui se meuvent et qui contraignent les autres a s'assembler en une Sphere, il faüdroit qu'il y eust d'autres petits Corps qui fissent mouvoir ceux cy et ainsy a l'infiny ce qui est absurde, Et quoy qu'on ne puisse concevoir ny deffinir cette puissance de mouvement de Jonction, elle ne laisse pas d'estre, Il y peut avoir aussi un mouvement de fuitte dans la nature.

Je dis en second lieu que les Corps pesants commencent a tomber avec une certaine vitesse determiné et qui n'est pas infiniment petite.
L'eau et les autres poids commencent a tomber avec une certaine petite vitesse mais qui n'est pas infiniment petite.
Soit un poids suspendu pesant deux ou trois livres, et soit un jet d'eau horisontal rencontrant ce poids, d'autant que ce poids n'a aucun mouvement ny

[ 210v ]

determination a se mouvoir horisontalement, les premieres parties de l'eau luy communiquent une partie de leur mouvement par les regles de la percussion*), et si petit que puissse estre ce mouvement les parties suivantes du ject le feront mouvoir plus facilement et par consequent augmenteront sa vitesse. Et enfin le feront esloigner de son poinct de repos par une espace sensible;
mais un ject d'eau de mesme force chocquant de bas en hault le Corps suspendu, si son premier mouvement vers le Centre estoit infiniment petit il seroit surmonté par celuy des premieres parties de l'eau jaillissante, qui ont un mouvement considerable, Donc si on couppoit le fil qui soustient ce Corps il ne descendroit point parce qui a esté dict dans les regles de la percussion, mais s'esleveroit un peu et les parties suivantes

*)  Journal des sçavans, 18 mars 1669, p. 22-24 (Huygens).

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du ject le rencontrant en mouvement le feroient encore aller plus hault jusques a un mouvement sensible ce qui repugne a l'experience, donc ce poids commence a tomber avec une certaine vitesse, et pour l'empescher de tomber il fault que les premieres parties du ject ayent une vitesse qui soit a cette premiere petite vitesse du corps suspendu comme le poids absolu de ce Corps est au poids absolu de ces parties du ject qui font le premier chocq selon les reigles de la percussion.

Je dis en troisieme lieu que la Terre tournant sur son axe ne peut faire eslever les pierres. Car en une minute elle fait 5. lieües 1/2, ou environ 80 000 pieds, et en une seconde enviro[n] 1300. pieds et en une tierce 22. pieds, dont le quarre est moindre que 500. pieds qui divisé par 4000 0000. pieds Diametre de la Terre

[ 211v ]

donne 5/400 000 ou 1/80 000 de pieds pour la distance de la tangente a la circonference de 22. pieds, et quand la premiere vitesse d'une pierre en descendant ne la feroit avancer que d'une 1/2 ligne en une seconde elle ne feroit que 1/120 de ligne en une tierce, c'est a dire 1/17280 de pieds beaucoup moindre que 1/80 000  et par consequent le mouvement par la tangente s'esleveroit moins que le mouvement de Jonction.
que si on suppose la vitesse de ce premier mouvement encore moindre que 1/2 ligne par seconde il faudra prendre ce que fait le mouvement de la pierre avec la Terre en une quarte ou quinte. Et on le trouvera tousiours moindre que celuy de la premiere vitesse de Jonction qui a une vitesse determinée par la precedente, et en la distance d'un arc infiniment petit,

[ 212 ]

ce mouvement de revolution ne luy donneroit qu'une vitesse encore plus petite infiniment, donc la revolution de la Terre ne rend point les pierres plus legeres.




Claude Perrault

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20 novembre 1669 (?)

  La Compagnie estant assemblée, on a continué a traitter des causes de la pesanteur, et M. Perrault ayant esté prié d'en dire son advis a lû le memoire qui suit.

On entend par pesanteur un principe qui fait que les corps tendent au centre du globe Elementaire. Il y a deux opinions parmy les Philosophes sur ce subiect, les uns croyent que ce principe est estranger et hors des choses qui tendent a ce centre a sçavoir une puissance qui les pousse comme le vent chasse les nuées. Les autres estiment que ce principe est interne et qu'il porte les corps a se ioindre comme estant une proprieté premiere et immediate de tous

[ 213v ]

les corps, dont les parties s'approchent les unes des autres apres qu'elles sont separées et se reioignent par la mesme force qui avoit resisté a leur separation; ceux qui sont de cette opinion estant persuadez qu'il ne peut y avoir d'autre principe de l'union des choses qui sont premierement et de soy unies que cette invisible et non sensible proprieté a cause de l'inconvenient de l'autre et unique raison qui reste a alleguer de l'union des parties, qui est leur accrochement et entrelacement: estant impossible de concevoir que les parties esquelles les corps sont divisibles a l'infiny ayent jusqu'a l'infiny des crochets et des poils pour s'entrelacer.
De sorte qu'estant necessaire que dans les Corps qui sont unis autrement que par accrochement et entrelacement, il y ait quelqu'autre chose qui resiste a leur division et qui soit un principe commun et generalement diffus dans tous les Corps, ils

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estiment que ce Principe d'union l'est aussi de la reunion, par la raison que les causes qui conservent ne sont point d'autre espece que celles qui produisent, et que le froid qui conserve la glace et la chaleur qui entretient le feu ne sont point des qualitez differentes de celles qui ont premierement glacé ou qui ont commencé a embraser.

  Mais ny l'une ny l'autre de ces deux opinions n'ont encores peu satisfaire: car cette propension et union qui pour produire la reunion porte les corps vers le centre da la Terre, par la raison qu'il y a desia une grande quantité de corps amassez en ce lieu là, n'est qu'une raison metaphorique, et qui n'est point assez claire et assez evidente parce qu'elle n'en a point d'autre qui la precede et a qui on la puisse attribuer, la connoissance d'une chose n'estant fondée que sur la certitude que nous avons de l'existence de la cause qui la fait estre ce

[ 214v ]

qu'elle est, joincte a l'intelligence de la maniere que cette cause peut faire que la chose soit ainsy de qu'elle est.

Mais outre l'obscurité et ce deffault de connoissance et d'evidence que la chose soit ainsy, a sçavoir qu'il y ait une propension dans les Corps, a se ioindre les uns aux autres, il y a encores des marques apparentes que cela ne peut estre: car il faudroit qu'une grosse pierre pendue en un lieu esloigné de la Terre attirast un petit grain de poussiere qui seroit bien proche, et l'empeschast de tomber vers la Terre, qui en seroit fort esloignée, estant certain que les choses qui se ioignent par une mutuelle inclination le font avec plus de force plus elles sont proches l'une de l'autre, comme l'on void dans l'aymant dans lequel la force qu'il a pour attirer l'aiguille aymantée, dont il est proche, prenant a celle qui attire l'aiguille vers le pole par ce qu'elle en est esloignée. De plus

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si cette inclination avoit lieu les choses qui tombent dans un puys fort estroit diminueroient visiblement leur vitesse en descendant, parce qu'elles seroient retenues estant proches du fond par la force qui et dans la terre qui est au dessus, Et par la mesme raison un plomb le long de la muraille d'une terrasse au pied d'une montaigne inclineroit vers le pied de la montagne.

L'autre opinion a quelque chose de plus evident, quoy que ses hypotheses n'ayent aucun fondement; mais elle a des inconveniens et des repugnances dont il est impossible de la garantir: car pour l'expliquer il fault supposer un flus continuel et rapide d'une substance aetherée qui estant portée de la circonference au centre de la masse Elementaire, pousse les Corps qu'elle rencontre diversement et selon que ces Corps la laissent passer avec plus ou avec moins de facilité lors qu'elle

[ 215v ]

penetre a raison de sa subtilité et qu'elle passe au travers des pores et des conduits qui sont dans tous les corps, De sorte que ceux qui sont les plus serrez et qui ont ces conduits plus estroits sont les corps pesants et ceux qui laissent aisément passer cette substance coulante, sont ceux qu'on appelle legers.
mais la difficulté est de sçavoir comment ce flus rapide se peut faire de tous les cottez vers ce centre continuellement sans s'espuiser et sans s'amasser au centre et s'accumuler enfin tout au milieu.

C'est pourquoy on peut adioutter une 3e opinion qui est fondée en general tout ensemble sur les principes des deux autres et il me semble qu'elle se deffend mieux de leurs inconveniens. Elle suppose que la pesanteur ou plustost le mouvement des choses vers le centre de la Terre a deux principes, l'un externe qui est l'impulsion faicte par le Corps subtil et aetherien agité

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d'un mouvement rapide qui est le fondement de la premiere opinion a l'esgard de la force qu'on luy attribue de pousser les corps grossiers, mais qui en est different a l'esgard du mouvement, que cette 3e opinion suppose circulaire autour du Globe Elementaire et par consequent capable d'une continuelle durée. L'autre principe est interne de mesme qu'en la seconde opinion; mais il en est different, en ce qu'au lieu qu'elle suppose dans les Corps une propension a se mouvoir les uns vers les autres qui est une chose qui n'est point intelligible, celle cy suppose le contraire qui est que les corps de soy et suivant leur nature sont immobiles et qu'ils ont besoing d'une force estrangere qui les face changer de place qui est la supposition de la premiere opinion.

Outre que ce mouvement qui est Circulaire et qui par consequent n'a aucune

[ 216v ]

repugnance de soy a la durée infinie, est plus probable que celuy de la circonferance au centre qui est necessairement borné, il est de plus fondé sur quelque chose de sensible et d'evident par ce que c'est luy a qui on attribue le mouvement journalier que la terre a d'occident en orient. Car on suppose que la matiere aetherée dans laquelle tous les autres Corps sont comme infusez, est agitée d'un mouvement Circulaire fort rapide du couchant au levant, en sorte qu'elle emporte avec soy tous les Corps. mais parce qu'ils ont comme il a esté dict une repugnance au mouvement ils ne peuvent pas suivre le sien et tourner avec la mesme vitesse de mesme qu'un vaisseau ne va pas aussi viste que le vent qui le pousse.

La necessité de cette impulsion egale et commune a tous les Corps est evidente et prouvée par tous les

[ 217 ]

phenomenes que l'on obiecte d'ordinaire au mouvement de la terre, quand on suppose qu'elle est remuée par un principe qui luy est interne et particulier et suivant lequel les Corps qui vont de hault embas sur la terre ne devroient pas tomber sur l'endroit au droit duquel ils estoient, quand ils ont commencé a descendre, et un arquebusier qui tire au midy ou vers le Septentrion ne devroit pas frapper le but ny son coup avoir tout de vitesse estant tiré vers le couchant que vers le Levant,
car cette egalité de mouvement que tous les corps ont pour aller ensemble d'occident en orient qui est la cause de ce qu'il nous apparoist qu'ils n'en ont point, peut estre avec beaucoup d'apparence attribuée a une Impulsion qui leur est commune a tous et qui emporte aussi bien les Corps qui sont separez de la terre que ceux qui luy sont joincts estant semblable a l'impulsion

[ 217v ]

d'un vaisseau et non pas au traisnement d'un chariot, qui laisse derriere soy ce qui ne luy est pas attaché, au lieu que le vent qui emporte le vaisseau peut aussi emporter ce qui en est separé.

Cela estant supposé a sçavoir en premier lieu un mouvement rapide et circulaire dans le Corps aetheré qui emporte avec soy tous les autres corps en les poussant, quoy qu'il les penetre de mesme que le vent pousse le voile bien qu'il passe au travers des fils de la toile, et en second lieu une resistance et une repugnance dans les corps a ce mouvement qui les empesche d'aller aussi viste que le corps aetheré qui les emporte. Il reste a expliquer comme il s'ensuit de là que les Corps massifs soient poussez vers le Centre de ce mouvement Circulaire de la substance aetherée.
Premierement il est certain que si les Corps ne resisteroient point au mouvement

[ 218 ]

et qu'ils suivissent celuy de la substance aetherée, ils tourneroient en rond autour du centre et avec une vistesse egale a celle du Tourbillon qui les emporteroit sans s'approcher ny s'esloigner du centre.
En second lieu que si ces Corps estoient tousiours figurez et scituez de telle sorte qu'ils se trouvassent tousiours opposez a un flus tellement egal de toute la substance aetherée, qu'ils fussent frappez avec une mesme force par toutes leurs parties Il est encore certain qu'ils suivroient le mesme cours circulaire ainsy qu'un vaisseau qui a le vent en pouppe suit le mouvement droit du vent et va directement au lieu vers lequel le vent coule.
mais de mesme qu'un vaisseau qui est disposé pour aller a la bouline cest a dire qui n'est pas assez leger pour estre emporté aussi viste et aussi droit que le vent, mais qui y resiste par sa pesanteur et qui n'en suit pas la direction a cause de

[ 218v ]

la scituation de sa voile, va obliquement et se detourne du cours direct du vent qui le pousse, on peut dire tout de mesme que les Corps qui sont poussez par la substance aetherée ne suivent ny la vitesse ny l'obliquité de son cours, mais qu'estant retardez par leur immobilité naturelle, comme le vaisseau a bouline l'est par sa pesanteur et par l'action de son gouvernail, et recevant l'impulsion de la substance aetherée sur leurs surfaces qui ne sont pas opposées directement a ce cours, de mesme que la voile qui est oblique ne l'est pas a celuy du vent qui est droit, Il n'est pas difficile de concevoir qu'il fault necessairement que les Corps se detournent d'un cotté ou d'autre.
De sorte qu'il ne reste plus qu'a faire voir pourquoy ils se detournent plustost vers le centre que vers la Circonference.

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  Pour cela il fault Supposer ce qui nest point contesté a scavoir que le mouvement circulaire que l'on suppose dans la substance aetherée doibt estre different selon qu'il se fait plus pres ou plus loing de son centre Et que celuy qui se fait plus loing est beaucoup plus viste plus rapide et plus capable de pousser et de chasser avec force que celuy qui en est plus proche, d'ou il s'ensuit que chaque partie du corps grossier qui reçoit l'impulsion du corps aetheré la reçoit inegalement en sorte que la partie qui est vers le centre est poussée plus foiblement que celle qui est vers la circonference,
Et ainsy la puissance qui agit dans le Cercle du mouvement qui est plus proche du centre cedant a celle qui agit dans le cercle qui est plus loing, il est evident qu'il fault que le Corps decline vers ce cercle plus foible qui le pousse encore vers un autre plus foible et ainsy de suitte jusqu'au centre.
  Daarvoor moet verondersteld worden, wat niet wordt betwist, namelijk dat de cirkelbeweging die men in de etherische materie veronderstelt verschillend moet zijn naar gelang ze dichter bij of verder van haar middelpunt komt, en dat die welke verder is veel sneller is, veel vlugger en meer in staat te duwen en met kracht te verdrijven dan die er dichterbij is; waaruit volgt dat elk deel van het grove lichaam dat de impuls ontvangt van het etherische lichaam deze ongelijk ontvangt, zodat het deel aan de kant van het middelpunt zwakker wordt geduwd dan dat aan de kant van de omtrek.
En zo, met het vermogen dat werkt in de bewegingscirkel dichterbij het middelpunt kleiner dan in de cirkel verder eraf, is duidelijk dat het lichaam naar deze zwakkere cirkel moet dalen die het weer naar een andere nog zwakkere duwt enzovoorts tot aan het middelpunt.

[ 219v ]

bol C met stippellijnen omlaag; bol F en cirkels rondom L
  Car Supposé que le corps C. fust poussé par deux vents inegaux en sorte que par Exemple le vent A. fust plus fort que le vent B. il n'y a point de doubte qu'il est impossible que le Corps C. soit poussé droit vers E. mais que la force du vent A. le poussera vers D.
Par la mesme raison le Corps F. estant poussé par les differentes puissances qui sont dans le tourbillon ayant plus de force vers GG. que vers HH. le Corps F. n'ira point egalement vers II. mais la force qui est en H cedant a celle qui est en G. le Corps sera poussé vers K.
Cela estant ainsy il est aisé d'entendre que le mouvement du corps F. qui est poussé vers le Centre L. par une ligne courbe est le mesme qui nous paroist estre droit et que l'on appelle a plomb a cause que nous sommes emportez avec la terre qui nous donne un mouvement Circulaire qui fait que si celuy du corps F. estoit effectivement droit vers le Centre L. il nous paroistroit oblique.
  Want gesteld dat het lichaam C werd geduwd door twee ongelijke winden, zodat bijvoorbeeld de wind A sterker was dan de wind B, dan is er geen twijfel dat het onmogelijk is dat lichaam C recht naar E wordt geduwd, maar de kracht van wind A zal het naar D duwen.
Om dezelfde reden: als het lichaam F wordt geduwd met de verschillende vermogens die er zijn in de wervel, met meer kracht bij GG dan bij HH, zal lichaam F niet gelijkelijk naar II gaan, maar omdat de kracht in H kleiner is dan die in G, zal het lichaam naar K worden geduwd.
Hiermee is gemakkelijk te begrijpen dat de beweging van lichaam F, dat naar het middelpunt L wordt geduwd langs een kromme lijn, dezelfde is die voor ons rechtlijnig lijkt te zijn en die men loodrecht noemt doordat wij meegenomen worden met de aarde, die ons een cirkelbeweging geeft die maakt dat, als die van lichaam F inderdaad rechtlijnig zou zijn, ze voor ons schuin zou lijken.

[ 220 ]

  Mais il reste une plus grande difficulté, qui est de Sauver l'inconvenient qui s'ensuit de ce Systeme, a sçavoir que le mouvement circulaire et simple du corps aetheré qui est capable de faire tourner la terre d'occident en orient ne sauroit pousser tous les corps grossiers vers le centre, mais seulement ceux qui sont dans de plan du cercle qui répond a la ligne aequinoctiale et que tous les autres Cercles ne les pourroient pousser que vers le Centre de leur plan; de sorte que les Corps ne tendroient pas au Centre mais a l'axe du monde, ce qui devroit rendre la terre Cylindrique au lieu qu'elle est Sphaerique.

Cette difficulté est si grande qu'il est inpossible de la soudre sans supposer un nouveau Systheme du Ciel et de la terre. mais parce qu'il n'est pas plus difficile aux philosophes de faire


[ 220v ]

de nouvelles hypotheses, qu'a dieu de créer un nouveau monde, pourveu que ce nouveau systeme n'ayt rien qui repugne aux phenomenes du monde qui est desia crée, je ne fais point scrupule de proposer le mien afin de ne laisser pas mon explication des causes de la pesanteur imparfaite.

Je suppose donc la terre au milieu du monde et au milieu des estoiles fixes et des Planetes. je fais que la terre est emportée comme il a este dict par un tourbillon du Corps aetheré d'occident en orient, et je luy en donne encore un autre pareil en force et vistesse qui va du midy au septentrion, ou du septentrion au midy, causé par un autre tourbillon qui emporte generalement tout le monde de ce sens là, cest a dire la Terre les planetes et les Estoiles fixes. Ce mouvement qui ne change rien et qui ne sçauroit repugner a aucun Phenomene


[ 221 ]

parce qu'il est commun a tous les corps qui peuvent faire des Phenomenes, ne laisse pas de faire son effect sur les Corps grossiers er solides qui composent le Globe Elementaire; et le flus rapide du corps aetheré qui emporte tout le monde du midy au Septentrion qui croise celuy qui emporte la terre du couchant au levant, produit l'égalité du mouvement des Corps pesants et fait que des poles de la Terre a son centre il y a un mouvement egal a celuy qui a desia esté monttré se devoir faire de la ligne aequinoctiale au mesme centre.

Le mouvement et l'agitation que les Cartesiens donnent aux corpuscules ausquels ils attribuent la descente des corps pesants vers le centre de la Terre me semble moins probable que les deux miens en ce qu'ils veulent que ce mouvement soit composé de cercles et de Tourbillons presque infinis qui font une

[ 221v ]

confusion qui repugne a l'ordre de l'univers, et ils n'ont point d'autre phenomene qui fonde ce mouvement que la chose mesme pour laquelle ils feignent ce mouvement a Sçavoir la descente des choses pesantes, au lieu que mes deux mouvements qui sont reguliers et simples sont fondez sur d'autres Phenomenes que sur celuy pour lequel ie les imagine, car celuy d'occident en orient est fondé sur l'apparence du lever et du coucher des estoilles.
Et l'on peut dire puis qu'en ces matieres il n'y a qu'a dire quand on ne dit rien qui repugne a ce qu'on voit, on peut dis ie s'imaginer que le mouvement du midy au septentrion sert par l'incroyable rapidité qu'il a dans l'extremité de son cercle a donner la lumiere aux étoiles qu'il allume s'il faut ainsy dire par le remuement viste et precipité de leurs parties qui faisant impression sur les corps qui sont entre

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elles, et nostre oeil y produit l'effect que l'on appelle la vision de la lumiere.

Ainsy le mouvemnet des choses pezantes dans cette opinion n'est point expliqué par des causes qu'il faille feindre entierement et comme creer de rien, mais elles sont Communes a d'autres effects, pour lesquels on en a desia besoing; ce qui les doibt rendre ce me semble plus recevables en rendant l'effort que l'imagination faict pour cela moins gratuit et assez bien employé puis qu'il sert a acquerir la connoissance de plusieurs choses a la fois.







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