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Christiaan Huygens à J. Chapelain.28 mars 1658. [<]La minute et la copie se trouvent à Leiden, coll. Huygens. 28 Mars 1658. Monsieur Je ne replique rien à une infinitè de belles choses que je lis, non sans quelque confusion, dans l'une et l'autre 1) de vos lettres. et me prevaux en cecy de la dispense, que vous m'avez accordée des le commencement de nostre correspondance [<]. Cependant vous ne devez pas douter que les nouvelles assurances que j'ay receu de vostre amitiè ne me causent une satisfaction tresgrande aussi bien que les applaudissements dont vous dites que vostre sçavante assemblee a receu mes nouvelles decouvertes. Sur tout, ceux que Monsieur de Monmor me donne me rendent bien glorieux. Et je fus surpris de voir dans la copie 2) (que je vois dois) de sa lettre, qu'un homme si illustre et de son rang eust daigne de faire de vers a ma louange. 1) L'une de ces Lettres est le No. 467, du 27 février, l'autre est le No. 470, du 8 mars. 2) Voir la Lettre No. 471. |
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Je serois fort en peine de luy tesmoigner ma gratitude apres avoir receu un tel honneur, si luy mesme ne m'en eust ouvert le moyen en m'enseignant ce que je devois faire pour contenter sa curiositè. Voicy donc Monsieur que je vous envoije en abbregè les deux descriptions que vous et luy m'avez demandees a scavoir du systeme de Saturne, et de la construction de mon Horologe, desquelles je veux bien que la derniere soit connue de tous, puisque ces ouvrages se voyent et se vendent publiquement. Du systeme personne n'en scait rien jusques icy sinon Monsieur Bouillaut [<], et peut estre seroit il mieux qu'il ne fut pas divulguè devant que l'on en vit toutes les raisons dans le traitè que j'espere d'en donner bien tost mais je vous en laisse aussi la disposition absolue, estant trespersuadè de vostre prudence en toutes choses et particulierement en celles qui me regardent. Apres avoir decouvert la lune ou compagnon de Saturne et que en 16 jours il achevoit sa course je m'imaginay aussi tost que apparamment Saturne mesme tournoit sur son aissieu et en beaucoup moins de temps que de 16 jours; car ainsi que la terre tourne en un jour et nostre lune aupres d'elle en un mois, de mesme semble t il aussi que Jupiter tourne au milieu de ses 4 lunes, et Saturne encore au centre de l'orbe de son satellite. Et cecy se confirme encore par ce que l'on remarque au soleil, qui tourne en soy mesme, estant au centre de toutes les grandes planetes. Partant je cherchay pour le phaenomene des anses de une telle hypothese qui pust subsister avec ce tournoyement et il me sembla qu'elle ne pouvoit estre autre que la suivante dont le contenu est dans l'anagramme qui est a la fin de mon observation imprimée*), a scavoir
Annulo cingitur tenui, plano, nusquam cohaerente ad eclipticam inclinato. C'est que le globe de Saturne qui est en cette figure ABCD est entourè d'un anneau ou cercle solide et plat EFGH, lequel se voit icy en perspective. Sa largeur est par tout la mesme, à scavoir KE ou LG, et en comparaison de cellecy, l'espaisseur fort petite. la distance entre luy et Saturne est partout egale a DL. Cet anneau estant esclairè du soleil nous paroist luysant de mesme que le globe ABCD. mais ne se voit pas tousjours dans la mesme situation. Car parfois il nous represente une ovale assez large comme en la figure M. [ *) Christiani Hugenii de Saturni Lunâ observatio nova, Hag. Com. Adrianus Vlacq. 1656. 4 pp. in 4o. XV, 165; aussi dans: P. Borel, De vero telescopii inventore (paru en 1656) II, 62-3.] |
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parfois fort estroite comme en N. et enfin en de certains temps il disparoit entierement laissant tout rond. ce qui arrive lors que nous le regardons justement de costè comme en R. Non pas pourtant a cause que le dit anneau est si fort mince, mais parce que son bord exterieur a cette qualitè de ne refleschir point la lumiere. Ce qui se voit de ce que quand Saturne est privè de ses anses l'on apperçoit neantmoins cette ligne obscure PQ qui le traverse, et mesme aussi dans les autres phases comme vous avez veu dans celles que je vous envoyay par mes precedentes.
Or pour vous monstrer comment se font tous ses changemens je fais la figure suivante. ABCD est l'excentrique de Saturne c'est a dire le cercle que Saturne parcourt en 30 ans, ou environ, representè icy en perspective. le soleil E est selon Copernic vers le milieu de ce cercle et dans le mesme plan a scavoir celuy de l'ecliptique; comme encore est le cercle FG que nostre globe de la terre recommence tous les ans, et dont le diametre n'est que la dixiesme partie de celuy du cercle ABCD. L'axe sur le quel nostre terre F se tourne journellement est inclinè au dit plan de l'ecliptique d'un angle de 67 degrez. estant tousjours parallele à soymesme; En A, H, B, &c. sont les figures de Saturne, le quel je suppose qu'il tourne sur son axe NO
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de mesme que la terre sur le sien. d'avantage que cet axe NO est a peu pres parallèle a celuy de la terre, et tousjours a soy mesme. Et du reste perpendiculaire sur le plan de l'anneau qui environne la planete. Apres quoy il ne faut point d'autre explication. car il est evident que par deux fois en 30 ans, Saturne estant en B et D, le plan de l'anneau sera vu de costè par ceux qui sont aupres du Soleil comme nous sur la terre F, ce qui fera paroistre tout rond sans bras ou anses; ce qui arriveroit justement alors que la planete est à l'entreè de aries ou libra, si son axe et le nostre fussent exactement paralleles, et qu'il ne sortit aucunement du plan de l'ecliptique. Mais maintenant c'est a un demy signe de là a scavoir vers le 17 degrè de virgo et de pisces. de sorte que lors qu'il ne sera eloignè de ces lieux que de 5 ou 6 degrez, il se verra tousjours rond. Il s'en suit aussi que estant en A et C, c'est à 90 degrez de B et D l'on verra l'ellipse de l'anneau plus large que jamais; ce qui arrivera lors que Saturne sera parvenu au 17e degrè de sagittarius ou de gemini. Et que entre ces quatre lieux, l'anneau acquerra des differentes figures, parce que selon qu'il sera proche de B et D, ou de A et C, l'ovale en paroistra plus ou moins reserrée. Les phaenomenes qui ne se peuvent rapporter à cette hypothese (comme l'on en trouve ou Saturne est representè de cette facon , et encore quelques autres) tous ceux disje ont estè produits par l'insuffisance des lunettes, et se trouvent faux lorsqu'on se sert d'aussi bonnes que les nostres. Mais de cecy je parleray plus amplement dans mon systeme. |
Il y a une chose encore que je vous veux faire remarquer, touchant le mouvement du satellite. C'est que le cercle au quel il chemine à l'entour de Saturne, estant dans le mesme plan avec l'anneau, il doit arriver necessairement que la pluspart du temps, ce satellite a nostre egard parcoure une ellipse: |
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tellement que quand l'anneau de Saturne sera devenu aucunement large nous verrons le satellite, tantost a costè vers ou les bras de la planete s'estendent; tantost dessus et tantost dessous, comme dans la figure prochaine. le quel spectacle commencera pour moij en l'annee suivante car a present l'ellipse est encore si estroite que lors que le satellite passe aupres de il ne peut estre apperceu, a cause de la clartè de ce grand corps. Et voyla quant à mon systeme. lequel sans doute est tresagreable et donnera nouvelle matiere de speculation aux Philosophes. Au moins ne semblera t elle pas de petite importance à ceux qui scavent que Saturne est un corps dont le diametre egale 8 ou dix fois celuy de la terre. et ne tienent pour impossible qu'il y ait la des creatures qui regardent cette planete avec son anneau et sa lune de plus pres que nous ne faisons. [ Regarder Saturne de près avec la sonde Cassini: Solar System Simulator, et les anneaux (avec un 'Huygens gap').] [ A. van Helden, 'Saturn and his Anses', Journ. Hist. Astr., 5 (1974) 105-121 et '"Annulo Cingitur": The Solution to the Problem of Saturn', ibid. 155-174.] [ Figure suivante (UB Leiden) de: R. Plomp, 'The earliest Dutch and French Pendulum clocks, 1657-1662'.] |
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et pour remonter l'on tire la corde a l'endroit K, jusques a ce que la poulie C s'approche de B. J'espere que tout cecy vous sera assez intelligible, et si non, vous n'avez qu'a me faire scavoir ou je me dois expliquer plus clairement. Je suis de tout mon coeur Monsieur Vostre treshumble et tresobeissant serviteur 5) Gaston Jean Baptiste de France, Duc d'Orléans [... 1608 - 1660 ...]. [ *) Johannis Hevelii Dissertatio de Nativa Saturni Facie, ... ad ... Gastonem Borbonium, Gedani 1656.] |
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J. Chapelain à Christiaan Huygens.12 avril 1658.La lettre se trouve à Leiden, coll. Huygens. Monsieur
Si dans mes deux lettres 1) vous avez trouvé quelquechose qui eust l'air d'une cajolerie, je le desavoüe comme contraire a mon intention. J'estime l'amitié trop sacrée pour en faire un commerce de complimens, lequel n'est une pasture que de gens de Cour et de testes ou fourbes ou legeres. Je traitte philosophiquement avec les Personnes sinceres et solides comme vous et ne me laisse jamais eschapper une parole que je ne vueille faire bonne jusquau bout. N'ayés donc point sil vous plaist de peine a recevoir les miennes et ne craignés point d'adjouster foy aux pures expressions de la verité lorsqu'elle parle a vostre avantage. Mais pour vous oster tout scrupule consultes seulement Monsieur Heinsius sur la confiance quon peut prendre en ma candeur et je suis certain que vous prendrés tousjours au pied de la lettre ce que je diray serieusement a un Homme aussi vertueux que vous. 1) Voir les Lettres Nos. 467 et 470. 2) Voir la Lettre No. 324. |
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propre axe et dans celuy qu'il fait en trente annees au tour du Soleil ou du centre du Monde. Neantmoins cette explication me semble peu soustenable a comparaison de la vostre et je ne pus mempescher de luy objecter quil ny avoit point dapparence que de simples vapeurs pussent reflechir la lumiere de Saturne jusqu'a nous veu la distance comme infinie quil y a de son globe au nostre; et que cestoit bien tout ce que pouvoit faire un solide aussi vaste que devoit estre le corps de cette Planette; Cela ne luy fit pas pourtant changer d'opinion soustenant tousjours que pour la reflexion elle se faisoit aussi fortement dun nuage que dun rocher et dun liquide que dun solide. Je ne dis rien des autres apparences de cette Planette en divers temps ou il ne me parut point du tout satisfaire au prix de vous, quoy quen luy faisant voir vostre premiere lettre il tesmoignast de croire que vous eussiés ou emprunté ou imité vostre hypothese de Saturne sur la sienne laquelle il vous avoit communiquee au voyage que vous fistes en France il y a deux ou trois ans. Quant a la construction de lhorloge je ladmire plus que je ne la comprens soit par la durete de mon intelligence, soit par vostre trop succinte exposition. Quoy quil en soit l'invention vous en sera tresglorieuse puisquelle a reussi dans la pratique et qu'on commence desja a sen servir en vos quartiers. Par la figure que vous m'en aves tracée je ne voy ce me semble deffet que celuy que produisent les poids et contrepoids et je n'y entens point celuy qui doit estre causé par le ressort, la situation des poids et du ressort estant differente. Si vous preniés la peine de me distinguer plus particulierement tout cela et de me le rendre plus concevable je vous en serois fort obligé. Au reste quelquun nous avoit dit que par cette horloge de nouvelle fabrique vous pretendies faciliter la navigation et trouver le secret des longitudes. Vous me feres grace aussi si vous me mandes le fondement de ce bruit afin que sil est vray je me puisse resjoüir avec vous d'un succes si admirable de vos estudes, de l'eclatante gloire qui vous en reviendra outre la suitte des avantages de fortune, quoyque vous ne les cherchiés pas et que vous n'en ayes pas besoin mais que Messieurs les Estats se sont engagés a donner a quiconque leur fournira le premier un secours si desire d'eux et si peu attendu de tout le monde. Maintenant Monsieur, bien que je fusse fort tenté de faire voir vostre excellente lettre a nostre Assemblee des demain pour vostre honneur, comme je vous voy dans le doute qu'il soit encore a propos de rendre le Systeme de Saturne public, je nay osé le hazarder sans en avoir une expresse permission de vous et n'ay pas voulu estre moins discret que la esté Monsieur Bouillaud 3) qui me dit bien il y a six mois que vous luy aviés justifie vostre hypothese, mais sans m'en rien dire davantage de peur de vous manquer de secret. Je jouiray donc en moy mesme de la confiance que vous aves prise en moy pour cela jusques a nouvel ordre, et en attendant je vous diray que pose que vous soyés bien confirme dans la creance de la verite de vostre Systeme il n'y a nul peril a le 3) Chr. Huygens avait écrit à Boulliau la Lettre No. 443 sur le système de Saturne. |
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publier des a present par cette lettre et quil y en a a ne le point publier par la mesme raison qui vous persuada de publier vostre lune lors que je vous representay que si quelqu'un penetroit vostre pensee et vostre observation il sen pourroit attribuer l'honneur en la publiant le premier. Vous y penseres et quand vous m'aurés laissé la liberté de la faire connoistre je dis celle de vostre Systeme je me charge d'en donner connoissance a Son Altesse Royale Monseigneur dorleans par lun de ses principaux Officiers, grand Amateur des Mathematiques et l'un de mes intimes Amis. Monsieur Bigot 4) vous saluera en mon nom en revenant de Francford. Je vous supplie dembrasser Monsieur Heinsius pour moy et de me croire entierement Monsieur Vostre treshumble et tresobeissant serviteur
A la Haye en hollande.
4) Emery Bigot [... 1626 - 1689]. Il voyagea beaucoup aux Pays-Bas, en Angleterre, en Allemagne et en Italie. De son père, doyen de la cour des aides en Normandie, il aviat hérité d'une belle bibliothèque, [...] 1706. |
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Christiaan Huygens à J. Chapelain.18 avril 1658.La minute et la copie se trouvent à Leiden, coll. Huygens. 18 Apr. 1658. Monsieur N'ayant pas a present le loisir de respondre au long comme je voudrois à vostre obligeante lettre, j'advance seulement ces lignes pour vous prier de ne pas communiquer à personne la construction de mon Horologe. laquelle quoy qu'assez obscure pourroit estre entendue de quelqu'un et me porter du prejudice dans un certain dessein que j'ay maintenant. mais quant a vous Monsieur tant s'en faut que je me repente de vous l'avoir donnée que je promets de vous la rendre plus claire s'il m'est possible aussi tost que j'auray un peu de loisir. Pour ce qui est du Systeme de Saturne je croy comme vous dites que ce ne sera qu'a mon advantage si vous le produisez tellement que je vous recommande seulement de faire en sorte que vous le puissiez monstrer sans faire veoir en mesme temps ce que j'ay escrit touchant l'horologe. Je m'estonne bien de l'opinion que Monsieur de Roberval avoit concüe comme si j'avois empruntè de luy le dit Systeme. Parce que je l'ay mis desia dans l'anagramme [<] imprimè au mois d'Avril 1656. et que sa lettre par la quelle il m'a fait la premiere ouverture de son hypothese est datée du 4 Aoust [<] en la mesme année. Au reste quoyque nostre commerce de lettres a este longtemps interrompu je pretens d'estre dans ses bonnes graces autant que jamais et advoueray tousjours que je luy suis obligè par plus d'une raison. Je vous prie de luy temoigner cecy de ma part et de l'asseurer que je luy suis comme a vous Monsieur |
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J. Chapelain à Christiaan Huygens.10 mai 1658.La lettre se trouve à Leiden, coll. Huygens. Monsieur Je m'abstiendray de vous dire icy tout l'honneur et tout le plaisir que je trouve dans vostre amitié, me contentant de le sentir et de le faire scavoir a tout le monde, de peur de vous laisser imaginer que la verité de mes paroles ne tinst de la vanité des complimens. J'entreray dabord et sans preface dans la Response que je dois a vostre derniere du 18. Avril, la quelle m'a bien confirmé dans mon ancienne maxime d'aller fort bride en main ou il s'agit de l'interest de mes Amis et de leur donner le temps necessaire, pour y prendre les resolutions et les mesures les plus utiles a leur bien. Si j'eusse communiqué le secret de vostre horloge, comme vous l'aviés consenti, vous ne seriés plus en estat den disposer à vostre avantage et d'en remettre la publication, lorsque vous nen pourriés souffrir de prejudice a vos desseins. Ma retenüe vous a maintenu dans la liberté ou vous estiés touchant cet article, avant que vous me l'eussiés descouvert, et le propre Monsieur de Monmor a qui particulierement j'en devois faire part n'y en a eu aucune parce que je n'eusse pu luy monstrer l'horloge sans luy môntrer le Systeme de Saturne, que vous me tesmoigniés n'estre pas bien aise que lon vist encore. La devotion de Pasques qui a interrompu l'Assemblée de chés luy m'a fourni d'excuse pour ne luy faire voir ni l'un ni l'autre, et de moyen d'attendre vos derniers ordres sur la conduitte que je devois tenir en cela. Ils sont venus justement la veille de l'Assemblée, et m'ayant reglé sur ce que j'avois a produire et à supprimer je m'en suis acquitté comme vous le pouviés souhaitter, avec tout le succes possible. Il se rencontra heureusement que l'explication de vostre Systeme estoit toute comprise dans les deux premiers feüllets de vostre lettre 1) a peu de chose pres qui ne faisoit rien pour son intelligence. Ainsi je pus exposer au public la partie du Systeme sans exposer celle de l'horloge, 1) Voir la Lettre No. 477 [<]. |
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le plan de laquelle je fis entendre que vous m'aviés redemandé pour le rendre plus clair par une deduction mieux figurée et plus estendüe ayant appris par ma precedente que je n'en avois peu dissiper l'obscurité. Ce fut de cette sorte que je fis passer ce point a la Compagnie pour coupper chemin aux demandes importunes de plusieurs qui n'avoient pas moins de curiosité pour lhorloge que pour le Systeme, et je les satisfis en leur assurant que vous me donneriés bientost moyen de les contenter la dessus. L'Assemblée estoit nombreuse et de plus de quarente Personnes, entre lesquelles il y avoit deux Cordons bleus 2) le Marquis de Sourdis 3) et Monsieur Du Plessis Guenegaud 4) Secretaire d'Estat, plusieurs Abbés de conditions, plusieurs Maitres des Requestes, des Conseillers du Parlement des Officiers de la Chambre des Comptes, des Docteurs de Sorbonne, plusieurs Gentilzhommes qualifiés, des Medecins de reputation force Mathematiciens d'importance et quantité de Scavans lettres. Pour moy je ne me conte point, estant le moindre de la bande. Comme Monsieur de Monmor que j'avois embouché eut demandé audience pour ce que j'avois a lire, et que je voulus preparer la lecture par le recit de cette lune que vous aviés descouverte pres de Saturne il y a quatre ans et publiée par mon avis il y en avoit plus de deux Monsieur le Marquis de Sourdis me pressa instamment de leur donner aussi la lecture de l'Imprimé de la lune que j'avois porté a toutes fins. Je le leus donc avant la lettre, et eus une audience tresfavorable, en suitte de quoy je leus hautement et distinctement vostre exposition du Systeme que ceux qui estoient a mes costés suyvoient de l'oeil sur le papier les plus eloignés ayant plus de peine a le comprendre faute d'en pouvoir regarder les figures au mesme temps, hormis Monsieur de Roberval qui m'avoua apres que selon que vous l'aviés escrit a mesure que je le lisois il l'avoit aussi bien conceu que s'il eust eu les yeux sur la lettre mesme. Pour les autres les plus habiles et ceux qui estoient le plus touchés des Speculations celestes prirent la lettre pour la voir à leur aise et verifier lhypothese sur les figures tracées aux lieux necessaires de vostre discours. Et je vous puis dire avec toute ma sincerité qu'encore que tout le monde ne donnast pas dans vostre sens comme a une chose toute certaine la pluspart neantmoins l'estimerent tresprobable et louerent infiniment vostre sagacité et vostre jugement dans une matiere si eloignée de la portée des sens, se resjoüissant de vous voir si perçant et si raisonnable dans une si grande jeunesse que la vostre, qui promettoit tant, pour d'autres descouvertes dans les Mathematiques à l'avenir. 2) L'insigne des chevaliers du Saint Esprit. 3) Charles d'Escoubleau, Marquis de Sourdis [...] fut Maréchal de Camp, gouverneur d'Orléans, et mourut le 25 décembre 1666. 4) Henri de Guénégaud I, Marquis de Plancy ... seigneur du Plessis [... 1609 - 1676 ...]. |
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Monsieur de Roberval dont le suffrage est de tres grand poids appuya fort ce sentiment et rendit un glorieux tesmoignage a l'excellence de vostre Genie. Et sur ce que je luy dis que vous estiés un peu estonné du soupcon qu'il avoit eu que vous eussiés profité de la communication de son Systeme, veu qu'il ne pouvoit ignorer que vous neussiés publie cinq mois auparavant dans vostre Imprime de la Lune 5) le gryphe de vostre Systeme Saturnien, il me respondit qu'il voyoit bien par vostre exposition que vous n'aviés rien emprunté de luy; mais qu'encore qu'il estimast beaucoup vostre pensée comme fort ingenieuse et fort juste il croyoit pourtant la sienne expliquée dans ma precedente plus approchante de la verité, pour ce qu'il n'y avoit rien que de naturel au lieu que la vostre estoit une machine toute d'art et dont il n'y avoit aucune image dans la Constitution du monde. J'avois oublié a vous dire dans ma precedente qu'il maintenoit que cette elevation de vapeurs dans la Zone torride de Saturne et renfermée dans cette Zone comme les taches du Soleil dans la Torride du Soleil estoit un effet necessaire en cette Zone a l'exclusion des autres Zones, par les principes de la Mechanique qui ne le peuvent souffrir autrement. Vous en jugerés. Pour en revenir a vostre Systeme je ne laisse pas de comprendre, malgré son objection comment cet anneau plat et mince incline à l'Eclyptique et tousjours egalement distant de la Planette, marchant tousjours avec elle dans le cercle quelle descrit autour du Soleil, comment disje cet anneau peut estre une production naturelle bien qu'il paroisse une imagination de l'Art. Mais pour nengager pas l'honneur de vostre Idée en la soustenant par la foiblesse de mes raisons et d'ailleurs connoissant ce Philosophe cy pour entier en ses opinions je ne le voulus pas contredire et remis sa conviction a une force comme la vostre et aux motifs de credibilité que vous deduirés dans le Traitté que vous en deves bien tost donner. Je dis que vous devés c'est à dire que vous avés intention de donner selon que porta vostre lettre, et je le dis encore dans le sens que vous y estes obligé parce que la chose estant desormais publique il vous importe tout a fait quon voye au long sur quoy vous vous estes fondé pour vous determiner a cette hypothese, sans vous arrester a celles de Hevelius [<] et de ce Sicilien Hodierna 6), ni mesme de Monsieur de Roberval, desquelles je voudrois pour lestablissement de la vostre que vous monstrassiés les inconveniens aussi, non seulement sans aigreur mais encore avec eloge et sans sortir des termes de la modestie qui sied tousjours bien a tous et mieux qu'a personne aux plus habiles. Dans un mois un homme de qualite de la Cour de Monsieur le Duc d'Orleans lira trouver a Blois 7) lors quil y sera retourné de Bourbon et luy portera la Copie de vostre Systeme selon vostre desir, de quoy je vous rendray conte. Au reste Monsieur de Roberval ayant veu dans vostre lettre la promesse de vostre horloge dit qu'il en avoit donne un Modelle 8) il y avoit plus de 5) Voir l'ouvrage cité [<] [...]. 6) Voir la Lettre No. 360a [<]. 7) Où le Duc d'Orléans vivait en exil, voir la Lettre No. 477, note 5 [<]. 8) Voir l'Appendice No. 485. |
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quinze ans fondé sur les pendules et qu'il seroit fascheux que vostre Construction se rencontrast la mesme que la sienne. Je n'eus rien a luy respondre sinon qu'il y avoit apparence que vous ne vous seriés pas plus rencontres dans lhorloge que dans le Systeme et que vous estiés assés riche de vousmesme et d'assés grand coeur pour ne vouloir vous servir ni d'avoir besoin du bien dautruy. Je suis avec beaucoup de passion Monsieur Vostre treshumble et tresobeissant serviteur
J. Chapelain à Christiaan Huygens.Appendice au No. 484 [10 mai 1658] 1).La pièce se trouve à Leiden, coll. Huygens.
C'est icy la Figure d'un balancier qui fera luy mesme aller son Horloge. |
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C. est le milieu du Balancier, et CD est une ligne à plomb dans laquelle est le point D, d'où le Balancier est suspendu. La Ligne, DCE, estant prolongée au dessous du Balancier porte une Languette E, laquelle a chacune vibration du mesme Balancier fait passer une dent d'Horloge. Le reste ne represente que des Arc boutans, et il y aura des detentes de temps en temps pour remettre le Balancier en mouvement. Le detail de cet Horloge n'est pas difficile, et il se peut diversifier en mille sortes par celuy qui aura lintelligence de la Mechanique. Copié exactement sur l'Original 2). 1) [...] Sur la copie que nous possédons Chr. Huygens a marqué la date du 10 mai 1658 (quoique certainement il la reçut bien plus tard) probablement parce que Chapelain dans la lettre de cette date, No. 484, mentionne l'invention de Roberval pour la première fois. 2) Cette copie est de la main de J. Chapelain. |
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Christiaan Huygens à J. Chapelain.6 juin 1658.La minute et la copie se trouvent à Leiden, coll. Huygens. Sommaire: bedancken. moeyte rapport. Roberval bedancken. horologe beloven. bly dat hy van myn gevoelen is. Robervals objectie. Robervals horologie. Oost en West. 6 Juin 1658. MonsieurJe vous doibs infiniment d'avoir agi avec tant de prevoyance et d'adresse soit à tenir secrettes les choses que je vous avois confiées soit a les produire. l'un et l'autre estant reussi au dessus de ce que je devois en attendre. Il m'a semblè quasi en lisant vostre recit que j'estois present dans cette Illustre assemblee, et j'ay senti quelque esmotion en y remarqueant ces cordons bleus avec tant d'autres personnes de condition et de scavoir. Mais sur tout de vous y veoir exposè a un danger tresevident de courir mesme fortune que ma nouvelle hypothese, laquelle si elle eust semblè fausse et ridicule, sans doute alloit diminuer vostre credit, l'ayant apportée comme chose digne de consideration. Maintenant ce m'est une grande satisfaction que mon opinion a paru vraisemblable au jugement de tant de bons esprits, parmy lequels je ne m'estonne point (le vostre me tient lieu de plusieurs) qu'il y en ait eu parmy une si grande compagnie un si grand nombre à qui l'hypothese de l'anneau ait semblè estrange, je ne m'en estonne point parce qu'en effect c'est une grande nouveauté, que de supposer une telle forme de corps, a la quelle dans le reste de l'univers il ne s'en voit pas de pareille. Mais j'ose esperer, qu'apres que je leur auray verifiè au long toutes les apparences, et demonstrè la possibilitè de mon systeme et le defaut de ceux que d'autres ont imaginè, ils m'avoueront qu'il y a de la necessitè dans cette supposition, et que la chose ne se peut expliquer autrement. Pour ce qui est de l'hypothese de Monsieur de Roberval, je croy que s'il eust pu avoir les vrayes observations des phaenomenes, elle n'auroit este aucunement differente de |
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la miene, n'estant a cett heure qu'en ce que l'anneau qu'il fait environner Saturne est d'une estoffe legere et qui se dissipe quelque fois, au lieu que le mien est solide et permanent. Je luy advoueray aisement que des nuees peuvent causer une reflexion aussi forte que les corps opaques, et mesmes que celles de Saturne (selon que requiert son hypothese) s'esloignent incomparablement plus de sa surface que ne font les nostres, quoyqu'il faudroit plustost presumer le contraire, d'autant que la chaleur du soleil n'agit pas en ce pais la avec la centiesme partie de la force que nous en sentons icy. Mais par quelle raison soutiendra t il, que seulement au bout de chasque 15 ou 14 ans, à scavoir en deux lieus de l'excentrique de Saturne, il paroist denüè de ces vapeurs, car c'est ainsi qu'il explique la phase ronde, et ce justement lors que le Soleil donne perpendiculairement sur sa Zone torride, et que par consequent les dites vapeurs devroient selon son opinion estre plus espaisses que jamais. Je scay que par cy devant je luy ay fait cette mesme objection, à la quelle il ne m'a point respondu. Vous jugerez Monsieur, s'il est expediant de l'en faire souvenir à cette heure, ou s'il vaut mieux qu'il ne la voye que dans le traitè de mon systeme. Je suis en cela fort de vostre opinion, qu'il faut se garder d'aigrir aucunement l'esprit de ce personnage, et que mesme en luy contredisant je luy faudra donner des eloges, ce qui d'ailleurs est juste, puis qu'il en a usè de mesme a mon endroit. J'ay veu autrefois en matiere de Dioptrique, et maintenant derechef en ce qui est de ces nouvelles horologes, que luy et moy nous sommes quelquesfois rencontrez dans la mesme recherche et j'ay grande envie de scavoir s'il y aura la mesme ressemblance entre nos deux constructions qu'il y avoit entre nos theoremes. Toutefois si celle de Monsieur de Roberval n'avoit pas trop de facon, je m'estonne qu'il en est demeurè au modelle, puis qu'il n'a pas ignorè que cette invention estoit de grande utilitè. Vous aurez bien tost la miene plus amplement descrite en Latin avec une figure qui representera tout le dedans de l'ouvrage, la quelle j'ay desia fait tailler. Pour respondre a ce que vous me demandiez dans vostre penultieme [<], s'il estoit vray que je m'estois imaginè de pouvoir determiner les longitudes par le moyen de ces horologes, j'ose bien dire, que si l'on en pouvoit porter par mer des grandes aussi bien que des petites, c'est a dire celles qui ont un pendulum de 3 pieds aussi bien que celles qui l'ont de 6 pouces, il est certain, que l'on en viendroit à bout. Sed hoc opus hic labor est*) navim jactantibus austris°). Et cependant je croy qu'on ne laissera pas quelque jour d'en faire la espreuve. Je suis entierement Monsieur [ *) Vergilius, Aen. Lib. VI, 129. °) Horatius, Sermo I, 6.] |