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Correspondance avec Mersenne (OC I)

Supplément

[ 545 ] [ v ]

No 3 g.

Constantyn Huygens, père, à M. Mersenne.

16 Août 1644.

La lettre se trouve à Paris, Bibliothèque Nationale. [NAF 6206, f. 10.]


    Monsieur

  Je vien vous rendre compte du coup qu'en mon absence j'ay faict tirer au rivage de la mer, proche de la Haye à 45 degrez quoy que cela n'ayt reusci à nostre contentement. Car voyci ce qu'on m'en escrit.  [Cf. No. 37.]

  Le 20e juillet en presence de personnes entendues on a tiré aveq la mesme piece de 6 lb chargee de 1½ lb de poudre 4 coups de suitte, sans jamais avoir peu observer ce que devenoit la bale, de sorte qu'elle a esté portée ou en mer à gauche ou à droicte dans les dunes, ce qui est arrivé parce que sur cest affust ordinaire, la piece estant si hault eslevée n'a peu estre empeschee de bransler, et faudroit y faire un engin eprès.

  Le 5e coup a esté tiré (à mesme charge tousjours) de point en blanq. Lors la premiere cheute de la bale a esté

à . . . . . . .  398 pas
le premier bond   à . . . . . . .  790
le second à . . . . . . . 1065
le troisieme à . . . . . . . 1244
le quatrieme à . . . . . . . 1394
le cinquieme à . . . . . . . 1475
le sixieme à . . . . . . . . 1548
le septieme à . . . . . . . 1626
le 8e et dernier à . . . . . . . 1750   où la bale
a demeuré.

  Je croy que ce dernier s'entend aveq son roulement.

  Pour le 6e coup le maistre ayant encor faict lever la piece à 45 degrez s'en est allé luy mesme devant pour tascher d'observer la bale, et a marché si avant, qu'a grand peine pouvoit il veoir la fumée du Canon. Comme de bonne fortune la bale est venu tomber tout derriere luy, où elle ne fit qu'un petit trou et n'entra qu'à 1½ pied, or ceste distance fut trouvée de 3225 pas.

  Il fut tiré encor d'autres coups depuis, mais point de nouvelle de la Bale.

[ 546 ] [ v ]

  De sorte, Monsieur, que nous voylà sans mesure de temps, mais je remarque que, comme vous avez prononcé que la Bale verticale devoit avoir esté à 3072 pieds, et qu'a 45 degrez elle devoit aller deux fois aussi loin, cela se verifie icy d'assez prés, par ce qu'aux 45 degrez nous trouvons 3225 pas, desquels pas, chascun contient deux pieds, estant ces pas la marche ordinaire d'un homme, ainsi vous avez moyen de supputer aucunement de la distance au temps. *)

  Et icy je conclus nostre conference Canonique, en ayant tant d'autre icy autour de mes oreilles jour et nuict, qui reciproquement ne faict que coupper bras et jambes, que je n'ay plus loysir de traicter ces matieres en jouant. Quand vos Canonistes Royaulx seront revenus de la campagne j'attendray qu'à Paris vous leur fassiez faire un essay à leur mode, afin que puissions conferer les experiences, et on ne refuse pas si peu de chose aux gens d'Eglise, et de la consideration dont vous estes par vostre grand mérite.

  Le beau livre Physicomathématique [Cogitata] que vous me faictes esperer, n'est pas encor venu. Il me tarde fort de le veoir, selon l'estime que j'ay subject de faire de tout ce qui part de vos doctes mains.

  Vous m'avez aussi bien remué la salive du Traicté des raisons Physiques du systeme du monde [Cosmographia] mais tout n'est qu'en attente jusques à present. Vous aurez, j'espere, receu le mauvais present †) que je vous ay envoyé par Calais, je vous en demande pardon.

  La Philosophie de Monsieur Descartes [Principia] vient de m'estre rendue et de 8 jours je n'auray loysir d'y regarder. Je voudroy vous la pouvoir faire tenir°), mais premierement j'attendray sçavoir que mon adresse de Calais soit seure, car j'ay subject d'en doubter pour des pacquets que j'ay faict passer par là, et dont je n'entens point parler. Continuez moy l'honneur de vostre amitié, je tascheray de la meriter en partie comme estant

    Monsieur

Vostre tres humble serviteur
C. Huijgens.


  Au Camp devant le Sass de Gant, place brave et forte et qui a la mine de ne se rendre qu'a petits morceaux ne manquant pas de poudre, ny pour le point en blanq ni pour les 45 degrez.

  16 d'aout 1644.


[ *)   "De passen syn geweest van 4 inde Roede" (>): 1 pas = 3 pieds. ]
[ )   Allusion aux poèmes envoyés par Huygens (Correspondance du P. Marin Mersenne XIII, 195, n. 4). ]
[ °)   Mersenne, dans sa réponse (20 août 1644): "Je vous asseure que si j'avois autant de genie à la poesie que vous, je mettrois la Physique de M. des Cartes en vers, comme Lucrece a faict celle de Democrite ...".]

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  C'est icy que vellem nescire literas*) pour me pouvoir dispenser de vous donner la triste nouvelle du trespas du pauvre Sieur Bannius°) soudainement emporté d'un catarrhe et d'une foiblesse survenue la nuict quand se croyant audesus de sa maladie, il avoit renvoyé les parents qui l'estoyent venu visiter. Charitum et musarum iste luctus est. et les sciences y perdent beaucoup, nommement celle qu'il embrassoit si fort, car comme j'ay tousjours dit, il y avoit des choses considerables en ses principes; quoique la prattique n'en reuscissoit pas entre ses mains, car autre chose est de bien sçavoir la prosodie et autre d'estre bon poète. Enfin, un honete amy perdu, mais Dieu l'a faict.
[ *)   Cf. J. J. Hofmann, Lexicon Universale, 831: "... vox illa Neronis, quum damnationem rei nescio cujus subsignare cogeretur, Quàm vellem nescire literas". ]
[ °)   Mersenne avait fait mention de Ban dans Cogitata, 356, 367. ]




No 11a.

Constantyn Huygens, père, à [M. Mersenne].

12 septembre 1646.

La lettre se trouve à Paris, Bibliothèque Nationale. [NAF 6206, f. 8.]
Mersenne y répondit par le No. 12.


    Monsieur

  Si vostre Lunettier de Nevers*) faict le lanternier sur de si rudes semonces que vous luy avez faictes, je ne le nommeray pas Advocat de mauvaises causes, mais qui est bien pis, très mauvais causeur. Voyons donq, s'il vous plaist, le bout de cest affaire sans luy donner haleine ny relasche.

  Je m'estay abusé au nombre de mes Pseaumes; et n'envoye que par ce present ordinaire le 20e  a)  que 1)  j'ay faict expres pour suppléer au default et ne me repens point de l'occasion non plus que mes amis Harmoniques par deça. Si vous pouviez estimer mes productions au point qu'ils sont, vous auriez de merveilleuses opinions de moy. Sed non ego credulus illis+). Je cognoy ma carta supellex°). s'ensuivront donq la sepmaine qui vient les Airs françois et trois lignes de preface à une dame flamande Anglaise 2)  que peut estre par le passé je vous ay donnée pour la plus


[ *)   De Meru, qui avait "treuvé le secret ... de tailler le verre en telle sorte que l'effect des lunettes ne depend plus de la longueur, mais seulement de la largeur et ouverture du verre"; il était 'avocat'. Cf. Correspondance du P. Marin Mersenne, XIV, 240, 448.]
a)   Il est sur des paroles du 119. Quomodo dilexi legem tuam! tota die meditatio mea est etc. [Const. H.]
1)   C'est le No. XIV de la "Pathodia Sacra" [1647]. Voir la Lettre No. 16, note 2 [I, 30].
2)   Utricia Ogle se trouve désignée par Constantyn Huygens comme "son tres-digne et tres-docte escolliere", "sa Sirene", "l'ornement du siecle" [image chez 'Essential Vermeer'].
[ +)  Vergilius, Eclogae vel bucolica, IX, 34.   °)  Persius, Saturae, IV, 52: "noris quam sit tibi curta supellex". ]

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accomplie chanteuse qui se puisse veoir, en toute sorte de stile et de langue comme feu son Pere 3)  Chevalier de qualité en Angleterre et autre fois icy colonel et Gouverneur d'Utrecht, amateur esperdu de la musique n'espargnoit rien à la faire perfectionner; en particulier aussi sur l'Espinette, ou elle faict des merveilles ayant mesme passé par les mains de Sieur de Chambonier 4)  qui ne vous doibt pas estre incognu. Gardez ceste description pour quand en france l'on pourra vous demander qui est cette Utricia Ogle (La ville d'Utrecht luy a donné ce nouveau nom à son Baptesme) à qui je dedie mes compositions. Il y a six mois qu'elle s'est mariée à un Gentilhomme Anglois 5), le plus chaud et passionné et entendu amateur de la musique que j'aye encor veu de sa condition. Je puis bien le nommer obstetricien de mes Pseaumes, car il ne s'est jamais voulu saouler de m'en voir produire et sans un tel 'ergodiôktès' jamais je ne m'y fusse appliqué aveq tant d'assiduité. Que si vos musiciens entendoyent comme sa brave femme et moy nous nous demeslons de ces Pseaumes, aveq son excellente voix, ma Basse et ma Teorbe, je croy que pour peu de complaisance qu'on a en france pour les choses estrangeres, ils se lairroyent 6)  persuader à juger nos concerts supportables.

  Le Livre de Regius 7)  vous contentera en sa methode. Il est parti en chapittres dont vous trouverez icy les tiltres que j'ay faict copier jusques ou l'impression est parvenue; et ces Chapittres parlent par Articles fort distincts lequels, de plus, sont accompagnés d'une chaisne de notes marginales: de sorte que la lecture en sera plaisante et commode, plus que celle des discours plus estendus de Monsieur Descartes. Quand vous me demandez des a cest heure comment il explique le flux et reflux, l'Aymant et que vous faictes proprement le françois qui a accoustumé, disons nous, de demander quelle heure va sonner à l'Horologe, sans vouloir avoir la patience de le compter. Attendez donq; dans peu vos desirs seront satisfaicts.

  Monsieur Saumaise va donner sa milice 8)  à ce que m'en mande Monsieur Rivet: mais vous sçavez combien cette promesse dure. Son Altesse m'en a encor parlé aujourd'huy aveq desplaisir, et ne faudra que le nouveau livre de mutuo 9)  de vostre Advocat 10), pour nous frustrer encor des années de ceste piece 11).


3)   Sir Ogle, père de Utricia Ogle et colonel dans les armées des Provinces-Unies, mourut probablement en 1640: il fut remplacé par son fils, le capitaine Sir Thomas Ogle.
4)   [...] Lettre No. 230, note 7.
5)   Le chevalier William Swann, devenu, le 14 décembre 1645, capitaine dans l'armée des Pays-Bas. Il était en relation avec la cour à la Haye et fut chargé de missions diplomatiques.
6)  Lisez:  
laisseroient.
7)   Les "Fundamenta Physices". [... cf. I, 21Correspondance du P. Marin Mersenne XIV, 413: "On dit que M. Descartes n'est pas satisfaict"].
8)  Cet ouvrage ne parut que plus tard [... 1657].
9)   [...] Replicatio adversus Salmasii refutationem de mutuo [...] 1646.
10)  Charles Annibal Fabrot [...].
11)   J. O. Tabor, Elenchus 'ektheseôs' de Mutuo [...], 1644. Saumaise publia contre l'ouvrage [... 3 écrits].

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  J'ay deux jeusnes galands, mon Aisné et celuy qui le suit qui ont grand' envie de veoir vostre quadrature de l'hyperbole et vos centres de percussion, et pour vous dire qu'ils sont capables d'en juger, je fay copier une lettre 12)  que le cadet (aagé de 17 ans) escrit à sondit Aisné (qui est icy en charge aveq moy) sur le subject de ses estudes mathematiques, où ce garçon reuscit à merveilles, comme en toutes autres choses, quae possent fidem tuam superare, si je vous les recitois. Je ne sçay si l'hiver qui vient je me resoudray a envoyer ces deux enfans en france, où j'ose m'asseurer que vous les regarderiez de bon oeil, et ne seriez par fois pas marry de leur conversation.

  Je ne sçay si vous aurez ouy parler d'un Collegium Auriacum, et d'une Escole Illustre que son Altesse mon maistre vient de fonder à Breda 13), nous y avons faict


12)   Voir la Lettre No. 11. C'est la lettre dont on trouve une reproduction photo-lithographique à la fin de ce volume.  [Autre repr.]
13)   Dans les Lettres Nos. 15, 26, 43, il a été fait mention de cette nouvelle Ecole Illustre à Breda; elle n'a existé que peu d'années.

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venir 5 ou 6 excellens professeurs un entre autres pour les mathematiques qui est Pellius l'Anglois 14), homme si celebre, que je m'asseure que vous le cognoissez de reputation, un Gentilhomme de ces paiis 15)  Grand Veneur de Hollande soubs Son Altesse, Monsieur Rivet et moy avons esté constituez Curateurs de ceste Academie naissante, dont l'inauguration se va faire aveq solennitez requises le 16me de ce mois 16)  mais ceste autre vocation icy plus importante ne me permettra pas d'y assister, trans-substantiation ou non-trans-substantiation in vitam veterem.*)

  C'est assez je vous laisse de mon babil et demeure pour tousjours

    Monsieur

Vostre tres humble et tres affectionné serviteur
C. Huijgens.    

  Au Camp de Saint Gilles, le 12e Septembre 1646.


14)   Sur John Pell voir la Lettre No. 9, note 2.
15)   Johannes Polyander à Kerckhoven, Seigneur de Heenvliet. Voir la Lettre No. 26, note 1.
16)   Voir la Lettre No. 26, note 3.
[ *)   Cf. Correspondance du P. Marin Mersenne XIV, 412: Saumaise, 'De Transsubstantiatione liber', 1646.]




[ No. 12 ]



No 18a.

Constantyn Huygens, père, à M. Mersenne.

26 novembre 1646.

La lettre se trouve à Paris, Bibliothèque Nationale. [NAF 6206, f. 15.]

A la Haye ce 26 Nov. 1646.  

    Monsieur

  Mon Escolier 1)  se trouvant icy à l'arrivée de vos lettres, je l'ay veu recevoir la siene 2)  avec joye et avidité; mais comme il a esté obligé de s'en retourner soudainement


1)   Christiaan Huygens.   2)   La Lettre No. 17.

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vers l'Academie 3)  et en mon absence, nous n'avons point eu de loysir de conferer sur ce que vous luy ecrivez. Vous avez bien raison de l'appeler Clairvoyant; car en effect il penetre promptement, tout ce qui semble à d'autres obscur ou difficile, et se mocque volontiers de la grimace de ces gens, qui font esclatter peu de matiere par des grands appareils de tailles douces*) et autres embellissemens à quoy vous sçavez comme entre autres les Jesuites sont subjects, et quanto conatu magnas saepe inanias prodant. Tesmoing le grand volume de Kircherus 4), ou ceste miserable Gnomonique tant traictée et retraictée par ces gens là occupe seule les 2/3 de son livre. Contre ce qu'il dit, que rien ne brusle soubs l'eau ce nous est chose familiere aux feux d'artifice de veoir jetter certaines bales enflammées au fonds d'un estang et dans bien 7 ou 8 minutes apres s'en revenir de là toujours ardentes. Ce Jesuite mesme avoue dans la prochaine page à ceste sentence, que la Camphre faict cela.°)

  En recompense du voyage en paradis que vous me communiquez vous sçaurez pour chose assez estrange quoy que réelle, que des gens serieux d'aage et de condition declarent avoir veu prisonnier à Anvers, durant nos premieres guerres un homme qui avoit la faculté de veoir au travers des habits, pourveu qu'il n'y eust point de rouge, qu'en suitte la femme de son Geollier l'estant venu veoir aveq d'autres femmes, pour le consoler dans sa calamité, elles furent bien estonnées de le veoir rire, et le pressant de dire ce qui en estoit cause il repondit froidement, par ce qu'il y en a une d'entre vous qui n'a point de chemise, ce qui fut avoué. Raisonnez la desus et faictes que Kircherus ne l'oublie pas dans sa 2e edition 5), car


3)   C'est-à-dire l'académie de Leiden [...].     [ *)   Cf. Expo BNF: Abraham Bosse, la Taille-douce.]
4)   Huygens parle ici du frontispice qui précède l'ouvrage "Ars Magna Lucis et Umbrae". Voir la Lettre No. 240, note 1.   [Gnomonique: cf. le traité de Christiaan H. (1646), OC XI, 64-7. ]
[ °)  Brûler sous l'eau: Ars Magna, 823-5.  Référence à Mersenne, Cogitata (1644), 255.]
5)   Ath. Kircher donna une seconde édition de son ouvrage [... 1671].

[ 552 ] [ v ]

celà ce peut bien appeler par excellence Ars magna. Vous prenez la peine de demander l'aage de mon fils 6), et luy faictes trop d'honneur, il est entré dans sa 17e Année et a l'advenant de ce qu'il sçait me promect beaucoup, ne craignez pas que je le presse d'esprit. Jamais je ne l'ay faict à mes enfans, non plus que mes Parens 7)  à moy. Le petit livre du bien commun m'est venu; je le liray avidement et en parleray cy après. Tassin me mande que le Sieur Ballart 8)  alloit entamer mon impression. Je seray bien ayse d'en veoir une espreuve. Je vais tout presentement escrire au Sieur Luiggi 9)  en sa langue comme vous le desirez, mais je doibs estre esclairé de ses qualitez, et s'il y fault molt illustre ou davantage. je vous prie que ce soit au plus tot. Monsieur l'Electeur de Brandebourg 10)  est venu icy pour espouser nostre fille aisnée 11).  Je commence à m'informer de sa musique qui n'est pas encor arrivée, mais demeurée à Clève aveq un train immense et splendide que ce Prince mesne selon sa condition. l'on me dict que le merveilleux Stiphelius 12)  en est qui faict plus de miracles sur la Viole de Gambe qu'homme qui fust jamais, qu'un autre en faict encor davantage sur la viole garnie au derriere de manche et ailleurs de chordes d'airain, un troisieme encor davantage sur ce qu'ils appellent la dulciane 13)  instrument a vent. Vous aurez advis de ce que j'en apprendray.

  Je finis pour retourner à la besoigne du contract de ce beau mariage 14)  où


6)   L'auteur parle ici de son second fils, Christiaan Huygens [* 14/04/1629].
7)   Les parents de Constantyn Huygens étaient: Christiaan Huygens [... 1551 - 1624]. Dès 1578, il fut le secrétaire du Prince d'Orange Willem I [...]. Il épousa le 5 septembre 1592 Susanna Hoefnagel [... 1561 - 1633].
8)   Robert Ballard. C'est lui qui en 1647 publia la "Pathodia Sacra" de Huygens.  [Lettre 4707, 25 nov. '47.]
9)   Luigi Rossi, né à Naples, habita en 1620 à Rome, puis vint à Paris; il était compositeur célèbre.
10)   Friedrich Wilhelm. Voir la Lettre No. 126, note 1.
11)   Louise Henriette, fille aînée du Prince Frederik Hendrik et d'Amalia von Solms [... 1627 - 1667]. On a d'elle quatre cantiques, en usage dans les églises évangéliques de l'Allemagne.
12)   Stiphelius est peut-être le fils de Laurentius Stiphelius, qui était Cantor à Nauenberg et qui publia: Compendium Musicum, Nauenb. 1609 [1614].
13)   La Dulciane est un chalumeau de dessus, Descant-Schalmey, le vieux haut-bois allemand, ou bassone.
14)   Ce mariage eut lieu le 7 décembre 1646.

[ 553 ] [ v ]

j'ay este nomé comissaire à trois contre le grand Chambellan 15)  de cest Electeur grand maitre de l'ordre teutonique et autres familliers 16)  de ceste Altesse Electorale. Apres telles entrefaictes suivront nopces et musique tout nostre saoul et puis je suis

    Monsieur

Vostre tres humble serviteur
C. Huijgens.    


15)   Otto Christoph von Rochow [...].   16)   Konrad Alexander Magnus von Burgsdorf [...].




[ No. 20 ]



[ 554 ] [ v ]

No 23a.

Constantyn Huygens, père, à M. Mersenne.

23 décembre 1646.

La lettre se trouve à Paris, Bibliothèque Nationale. [NAF 6206, f. 16.]

    Monsieur

  Dorenavant je ne vous serviray plus que d'adresse au commerce literaire d'entre vous et mon petit mathematicien 1), qui presentement vous envoye une assez longue lettre 2)  mais d'une matiere qu'il eust peû estendre jusques à un Traicté bien formel,


1)   Christiaan Huygens.   2)   Voir la Lettre suvante No. 23b.

[ 555 ] [ v ]

s'il ne se fust contenté de vous dire demie parole comme à bon entendeur.
  Voyez si dans l'aage où il est ce n'est pas raisonné aveq prestance et d'un train de maistre.

  Le musicien 3)  que m'a choisy Monsieur Gobert est arrivé et correspond a peu près à mon attente. s'il continue d'estre sage et moderé il subsistera icy aveq satisfaction et sera bien voulu parmi les gens de condition. Je voudray que vous l'entendissiez entonner mes Pseaumes aveq moy. Il me semble que nous y reuscisons, et il est complaisant jusques a en dire davantage. Je voudray veoir un premier fueillet de l'impression du Sieur Ballart. Ce sera à son loysir et le vostre.
lanterne Voyci encor un portraict de ma lanterne tant en front qu'en profil, chose tres niaise et simple sans verre aucun, la flamme subsistant toutefois contre les tempestes et tout, par ce qu'il n'y a ouverture que sur le devant. Il ne se peut qu'on en ayt à Paris où confluent toutes choses. La chose est trop petite pour vous en dire davantage, mais le service en est en estime icy.

  Il y a 17 ans que l'Apollonius est entre les mains du Professeur Golius 4), qui ne cesse de la promettre à l'esperance du publiq, et jamais n'en donne aucune apparence. un très-sçavant personnage 5)  Conseiller de Son Altesse mary d'une de mes soeurs, le luy porta d'orient pour le bien commun. Je ne scay s'il n'y rencontre trop de difficulté. Notre Pellius 6)  voudroit fort l'avoir et assurement en viendroit promptement à bout, mais le moyen de l'arracher au premier sans le picquer ou affronter.

  Nous avons a Leiden un habil homme 7)  qui prepare un livre 8)  a prouver que les langues Grecque et Latine, et autres, aussi bien nostre Germanique sont evidemment et très-évidemment derivées de l'ancienne Schythique. Voici bien des nouvelles. où sont vos polis conservateurs de la langue françoise, ou ceux de l'Italienne ou Espagnole? il ne nous vault pas la peine de les considerer, si ce n'est pour


3)   Avril. Voir la Lettre No. 24, note 4.
4)   Golius ne donna jamais cette édition. Voir la Lettre No. 547, note 5.  [Cf. R. Vermij, The Calvinist Copernicans, p. 24.]
5)   David le Leu de Wilhelm, qui épousa Constantia Huygens.
6)   John Pell était professeur de mathématiques à l'Ecole Illustre de Breda. Voir la Lettre No. 9, note 2.
7)   Marcus Zuerius Boxhorn. Voir la Lettre No. 179, note 2.
8)   Cet ouvrage n'a paru qu'après la mort de l'auteur [...] Originum Gallicarum Liber. [...] 1654.

[ 556 ] [ v ]

branches pourries du Grec et Latin, qui encor vont debvoir leur origine où vous voyez. Tant il y a, nous verrons des plaisans discours et bien doctes soustenus par des exemples, au dire de l'autheur, indisputables. Je vous envoyeray le motet du Collegue 9)  de Monsieur Gobert. nous l'avons essayé et trouvè faire beau bruict, à quoy je croy bien que ces Messieurs luttent uniquement, aille de la parole comme il plaist à Dieu, et ainsi tout trepigne ou galoppe, qui est une estrange sorte de devotion et peut estre touchera plus les coeurs du S. P. Q. R. que les nostres, mais pour tout cela, l'auteur temoigne entendre bien son mestier et que s'il vouloit s'y appliquer d'une autre sorte (qui peut estre n'est pas aujourd'huy de la mode) il le feroit en perfection, car veritablement l'harmonie en est belle. Nous essayerons aussi celle de Monsieur Gobert.

  Je seray tres content de vous envoyer un motet de ma façon à 5 ou 6 pour le faire essayer à Rome, ou peut être, mon stile symbolizeroit autant aveq l'humeur de la nation, que celuy du meilleur Catholique Romain, mais le moyen de plus songer à ces passetemps, tout mon loysir se trouvant si entrecouppé ut hanc etiam vix, Tityre, ducam? *)

  Je ne sache point d'homme Grec aujourd'huy en ces quartiers icy qui nous puisse esclarcir de la musique dont vous parlez et demeure

    Monsieur

Vostre tres humble serviteur,
C. Huijgens.    

  A la Haye. 9 cal. Jan. Anni
M D C XLVII quem deus
prosperrimum det ac felicissimum.


9)   Luigi Rossi, qui, le 17 octobre, avait envoyé quelques airs italiens à Constantyn Huygens, par l'entremise de Gobert [cf. No. 18a, note 9].
[ *)   Vergilius, Eclogae vel bucolica, I, 13. ]

[ 557 ] [ v ]

No 23b.

Christiaan Huygens à M. Mersenne.

23 décembre 1646.

La lettre se trouve à Paris, Bibliothèque Nationale. [NAF 6206, f. 14, 14v.]
Elle est la réponse au No. 23.

    Monsieur

  Vous m'excuserez de ce que j'ay tardé si longtemps sans vous envoyer ce que j'ay trouvè touchant l'affaisement de la chaisne, si vous considérez bien ce que je m'en vais vous dire; c'est que quand j'ay trouvè quelque chose de nouveau en Mathematiques je ne la mets pas incontinent par escrit, mais il me suffit de le pouvoir faire quand je veus, ou quand on m'en demande la demonstration: De la sorte doncques je n'avois encore rien escrit de cet affaire de la chaisne qu'une ou deux propositions [<], et voyla pourquoy il m'a fallu quelque temps pour mettre en ordre les autres théorèmes qui estoyent nécessaires à sa parfaicte intelligence. Il y a beaucoup d'autres choses que j'ay ainsi par la teste sans les avoir escrites encore, mais seulement calculés par lettres, comme sont les centres de gravitè de beaucoup de choses et entre autres de la sphère, du cercle, du Conoide hyperbolique, et de leurs segments; les tangentes, quadratures, et centres de gravitè de la parabole et des espaces contenues des courbes dont vous escrivez au volume tresdocte de physicomathematique, en la prefation des mechaniques [^]. Une autre démonstration*) de ce qui est contenu au livre d'Archimède, de sphaera et cylindro, et de Conoïdibus et sphaeroidibus; mais rien encor de ce qui concerne les centres de percussion, dont vous m'avez escrit par vostre derniere, pourtant je ne manqueray pas de faire tout ce que je pourray pour en trouver la démonstration, bienque jusques à cett'heure il me semble qu'elle surpasse de beaucoup la capacitè de mon esprit. De trouver 100000000000 nombres, dont nul ne soit premier et qui se suivent immédiatement, c'est chose très difficile.

  Il y a une autre question en mesme matiere, qui est plus aisée, que je ne sçay pas resoudre pourtant, à sçavoir, Trouver un nombre premier qui soit plus grand qu'un nombre donnè comme 1000000, sans l'examiner pourtant par la division, car ainsi, il est bien aysè. C'est chose très certaine que s'il y a moyen de trouver la solution de ces problèmes et d'une infinitè de semblables, que ce


[ *)  Cf. T. XI, p. 76, n. 1.]

[ 558 ] [ v ]

doit estre par l'aide de l'Algèbre par lettres, dont j'estime les vertus comme le bonheur d'estre

    Monsieur

Vostre tres humble et tres obeissant serviteur,
Christian Huygens.    

  A la Haye, le 23 Decembre 1646.




[ No. 24 ]




No 27a.

Constantyn Huygens, père, à M. Mersenne.

14 janvier 1647.

La lettre se trouve à Paris, Bibliothèque Nationale. [NAF 6206, f. 18.]
Elle est la réponse au No. 24.

    Monsieur

  Vous avez trop grande opinion de mon Archimede mais je sçay bien qu'il ne dementira jamais celle que vous en devez avoir. Je luy envoyeray le tiltre de la selenographie de Hevelius 1), si cest auteur ne me donne partage dans ce nouveau monde, il faict prejudice au bon droict qui desja m'y est acquis 2), par la division du mathematicien de Bruxelles 3), dont vous aurez veu le project 4), puis que c'est chose qui vous touche 5)  aussi pour vostre contingent.

  Ce que le lunettier de Naples 6)  publiera de ses observations faictes par son telescope de 15 ou 20 pieds, est plus recevable que ce que faict esperer vostre fourbe d'Avocat [<] de son instrument plus court que d'autres, et plus estendu de veüe qui est paradoxe en optique.

  Je voudroy que ces observations Napolitaines 7)  parvinssent jusques à nous, et si


1)   Voir la Lettre No. 40, note 2. [No. 24, n. 5.]
krater Hugenii 2)   On trouve sur la carte de la note 4, au limbe nord-ouest, une montagne annulaire avec le nom "Hugenii"; depuis, Hevelius la nomma "Lacus hyperboreus inferior" et Riccioli "Mercurius", nom qui lui est resté.
[ Gassendi zag op 21 jan. 1647 de planeet Jupiter dichtbij de Maan, "aliquanto supra maculam Langereno Hugeniam vocatam" (Opera 1658, T. 6, p. 263). 
3)   Michael Florentius van Langeren [van Langren]. Voir la Lettre No. 24, note 8.
4)   Planisphaerium Lunae a se mediantibus telescopibus observatum  Auct. M. Fl. van Langeren Mathematico. Bruxellis. 1647.  [...]  Plenilunii Lumina Austriaca Philippica [...], Brux. 1645.  [descr., fig.]
[ H. Bosmans, 'La carte lunaire de Van Langren', in Revue des Questions scientifiques 3-4 (1903) 108-39.
114 Ned. brieven van E. Puteanus aan ... van Langren, 1957, voyez no. XC ...]
krater Mersenne 5)   A droite de la partie inférieure de l'axe vertical de cette carte on trouve une autre montagne annulaire, désignée par le nom "Mersenne".
6)   Francesco Fontana. Voir la Lettre No. 24, note 6.
7)  [... Ibid.] note 7.

[ 559 ] [ v ]

vous avez moyen de me recouvrer parfois de semblables productions nouvelles en quelque partie de la philosophie ou autre matiere que ce soit, vous m'obligerez de me les faire achepter sans prendre esgard aux prix que je porte volontiers et attens en suitte la nouvelle philosophie 8)  in 4o que vous me promettez. M. Tassin sera bien content de fournir l'argent, et je donneray bon ordre à le faire rembourser. Maintenant que ma jeunesse est parvenue à la capacité de juger des belles choses et sublimes, je m'y divertis plus volontiers que jamais aveq elle. Nostre musicien 9)  continue à se comporter sagement et desjà se trouve dans une presse de près de 20 escoliers, outre celà j'espere encor luy faire du bien aveq le temps. Nos grands violistes 10)  sont partis aveq la famille de Monsieur l'Electeur, vers Cleves; mais le meilleur des deux reviendra. Son Altesse l'a demandé à Monsieur l'Electeur et j'espere que nous y ajousterons l'excellent joueür d'espinette, Beer 11)  que je vous ay nommé et celebré autrefois. Ce seront deux bonnes pierres mises en oeuvre, pour bastir dessus un plus grand concert, que je minute, si Dieu donne vie à Son Altesse. Le violiste s'appelle Stephelius 12), et a une science monstrueuse sur cet instrument où je pense avoir excellè jusques ores en nos Provinces, mais je ne me tiens pas digne de le debotter. Vous avez ouy beaucoup de bonnes choses, mais celle-cy vous surprendroit. Je voy qu'il faut attendre aveq quelque patience tantost le loysir, tantost la santé du Sieur Ballard, et l'affaire n'estant pas de haulte importance je m'y accommode volontiers, si ce n'est pour la peine que vous vous en donnez. Je vous supplie de dire ou de mander en billet à M. Gobert (je ne sçauray luy escrire pour ce coup) que je transposeray quelques Basses que j'ay veu qui le chocquent en ce qu'elles montent pardessus le subject. Je donneray celà à son goust car pour moy j'en ay quelqu'autre pensée qu'il ne vault pas la peine d'estendre par lettre.

  Je vous rends l'offre de la nouvelle année, si j'en suis demeuré en faulte, ce qui n'arrivera jamais ou j'auray moyen de vous temoigner que je suis

    Monsieur

Vostre tres humble et tres affectionné serviteur
C. Huygens.      

  A la Haye, le 14 janvier, 1647.


8)   Consultez la note 9 de la Lettre No. 24 [Fabri].     9)   Avril. Voir la Lettre No. 24, note 4.
10)   Consultez la Lettre No. 18a, page 552.     11)   Voir la Lettre No. 67, note 6.
12)   Voir la Lettre No. 18a, note 12.




No. 30



[ 564 ] [ v ]

No 47a.

Constantyn Huygens, père, à M. Mersenne.

6 avril 1648.

La lettre se trouve à Paris, Bibliothèque Nationale. [NAF 6206, f. 21.]
Elle est la réponse au No. 46.  Mersenne y répondit par le No. 48.


    Monsieur

  Je vous donne de bon coeur la bienvenue dans le nouvel estat de convalescence. Caressez en ce succes aveq moderation de travail, et ubi confirmatus fueris, revenez à vos flustes sans scrupule. Un peu de beau temps m'avoit aussi fait commencé à faire penser aux essays du Canon, mais nous avons faict recidive et nous voyci de nouveau non pas dans les nuages, mais un peu dans la grelle, et ce qui a accoutumé de les accompagner, durant la lune de mars. Mon Archimede sera dans peu icy et je l'entretiendray amplement sur vos discours mathematiques.

[ 565 ] [ v ]

Ne laissez pas de pousser le jeune Pascal 1)  à nous donner le corps 2)  dont il nous a faict veoir le squelete 3). Il fault tenir la main à penetrer tout ce mystere de l'Argent vif descendant au tube. Mais croyez moy, qu'a la fin, il n'y aura que les phenomenes de Monsieur Descartes, qui en viendront nettement à bout. Tout autre principe m'est trop grossier, depuis que j'ay gousté ses fondemens desquels j'ay accoutumé de dire le proverbe italien: Si non e vero, e ben trovato.

  Je ne sçauray vous dire plus de circonstance de ces merveilleux basteleurs des Indes*); mes rapporteurs vivent loing d'ici. Par occasion je m'en informeray plus amplement et cependant attendray la machine à voler 4), mais, comme je pense vous avoir dit, bien plus encor les veritables temoignages des experiences faictes en Poloigne. Il ne me vient rien de nouveau en fantaisie dont je puisse vous entretenir je reviens donq à ceste ancienneté, mais qui ne viellira jamais, que je suis d'entiere affection

    Monsieur

Vostre tres humble serviteur
C. Huygens.      

  A la Haye, le 6 Avril, 1648.

  Un seigneur anglois m'a faict venir de france un beau viel grand luth 5)  de Bologne, le meilleur que je touchoy jamais. Pensez si le present me ravit. Il regne dans son creux le plus doux tonnerre qu'on puisse entendre.
  Je ne sçauray vous le peindre mieux.

  Encor ne m'avez-vous jamais voulu dire, quel moule de Luth vous estimiez que doibve rendre la plus belle resonnance et pourquoy. Je sçay quelque chose par experience, qui me trompe rarement, mais mon Archimede aura charge d'en raisonner sur la theorie.


1)   Voir sur Blaise Pascal la Lettre No. 46, note 3.
2)   Voir la Lettre No. 655, note 9:  Recit de la grande expérience de l'équilibre des Liqueurs. Paris 1648. in-8o.
3)   Voir l'ouvrage cité dans la Lettre No. 46, note 4.       4)   Consultez la Lettre No. 46
5)   Ce luth "à neuf cottes" lui fut envoyé de Londres par le luthier J. Gaultier; le gentilhomme anglais ne voulut le céder à Huygens que pour 30 livres sterling.  [Cf. Const. H. lettre 3953, et 3958.]
[ *)   Correspondance du P. Marin Mersenne, XVI, 152: "des charlatans qui s'eslevent de terre juqu'au premier estage des maisons".]

[ 566 ] [ v ]

No 47b.

Christiaan Huygens à M. Mersenne.

20 avril 1648.

La lettre se trouve à Paris, Bibliothèque Nationale. [NAF 6206, f. 6.]
Mersenne y répondit par le No. 49.

    Monsieur

  Estant venu de Breda icy a la Haye par occasion des vacances de Pasque j'y ay trouvè le livre de S. Vincentio 1)  que j'avois fort souhaittè d'examiner à loisir, et d'autant plus parce que je voyois que tous les Mathématiciens à qui j'en avois parlè se trouvoyent empeschez a en venir à bout, n'osants dire absolument s'il a rencontrè la quadrature ou non.

  D'abord doncq j'ay appris ce qu'il entend par ductionem plani in planum [p. 704], et après, commençant par la proposition 53, libri 10 de quadratura Circuli, j'ay trouvè bien de la difficultè en quelques propositions auxquelles il me renvoyoit. La dite 53e est bien aysée a entendre; de là il faut venir à la 52 qui precede, qui est encor aysée: de là à la 44e qui est obscure, mais parce qu'il faut que tout ce qui ayde à la démonstration soit vray et qu'au commencement de celle-cy il se sert de la proposition 43, je m'addressois à celle-là, et de là estant renvoyè au corollaire 2 de la 42, je me suis arrestè à la fin de cettuicy, là ou il dit Habita cubatura totius solidi ABQE ducto in APCB, eodem artificio obtinebitur cubatura solidi quod fit ex segmento PPZZ ducto in segmentum ZRRZ a). Il me semble que cecy cloche bien fort; et certes je ne comprens pas cet artifice dont il parle icy, car c'est bien autre chose de faire un cube esgal à toute la ungula parabolica*) qui est produite per ductionem parabolae ARB in seipsam, que de faire un cube esgal à la partie de la mesme ungula, produite per ductionem segmenti ZRRZ in seipsum. Que s'il y a quelqu'un de vos Archimèdes qui l'entende autrement, je seroy ravy d'en sçavoir leur advis: comme aussi leur jugement de tout ce grand livre qu'ils ont leu sans doute il y a longtemps. Quant à moy je ne fais que venir icy, ne l'ayant jamais veu autrement que quelques fois chez Monsieur Pell 2)  à Breda qui ne me l'a jamais voulu prester, ny m'en dire une sentence definitive encor qu'il l'ayt eu assez long temps. Pourtant j'y ay trouvè des choses assez jolies comme sont les cubatures ungularum cylindricae et parabolicae, encor que je ne les aye pas apprises de là toutes deux, car pour la première Monsieur Pell sçait bien que je la luy ay dite avant que le livre fust venu. Mais quant à la Quadrature, je vous asseure qu'à peine je me puis imaginer que l'Auteur mesme croye l'avoir trouvée, car donnant les moyens de


ungula parabolica 1)   Opus geometricum quadraturae circuli, Antv. 1647. Voir la Lettre No. 25, note 6.  [XI, 276-.]
[ *)  Figure dans Chr. Huygens, Theoremata de quadratura, 1651, p. 38. Cf. Opus geometricum, p. 1032, 2e fig.  Stefano degli Angeli, De superficie ungulae ..., 1661.]
2)   John Pell était professeur de mathématiques à Breda. Voir la Lettre No. 9, note 2.
[ En 1693 Chr. Huygens écrit (X, 401): "je n'avois point eu M. Pel pour maitre, sinon que j'entendis 2 ou 3 de ses leçons publiques à Breda." ]

[ 567 ] [ v ]

cognoistre la proportion du Cercle à un rectiligne, pourquoy ne la faict il veoir aussi bien, car cela luy devoit estre plus aysè qu'à aucun de la supputer, ce me semble; au moins il y eust mieux employè sa peine qu'a ramasser toutes les sections coniques avecque leur proprietez, et beaucoup d'autres choses superflues.

  C'est une belle experience que celle de la vessie dans le vuide que vous avez communiquée à mon père 3), mais je ne doute point, que ceux qui l'ont faite, avant que d'en veoir l'effect en ayent bien sçeu la cause, qui est l'air qui est restè dans la vessie qui est contraint de se dilater pour estre egalement distribuè par tout l'espace vuide, tant qu'il est possible. Je vous prie que quand vous en aurez fait d'autres de la sorte comme de la clochette et de la pesanteur de l'air, de m'en faire part, et de croire que je suis

    Monsieur

Vostre très humble serviteur
Chrestien Huygens. 

  Ce 20 d'Avril 1648.


a)   Conferant la proposition suivante aveq ce corollaire on verra qu'il faut escrire ZQQZ en lieu de ZRRZ  [Huygens?] 4).

3)   Voir la Lettre No. 46  [et No. 49].     4)   Huygens a bien copié.




[ No. 48 ]




No 49a.

Constantyn Huygens, père, à M. Mersenne.

3 mai 1648.

La lettre se trouve à Paris, Bibliothèque Nationale. [NAF 6206, f. 23.]
Elle est la réponse au No. 46.


    Monsieur

  N'ayant que peu de matiere et moins de loisir à vous entretenir pour ceste fois, je veux vous dire en trois mots sur la difficulté que je voy vous exercer touchant la vessie platte qui s'enfle dans le vuide, que mon petit Archimede la resoult ainsi:

[ 568 ] [ v ]

que l'air, qui est notoirement dans ceste vessie aplatie, s'enfle ou s'estend tant qu'il peut pour secourrir la nature dans ce vuide vel quasi qui est dans le tuyau. Voyez si ce garçon raisonne mal à vostre advis. Ce n'est pas trop sottement parlé, et peut estre aura on de la peine à trouver quelque chose de plus solide. Nisi quid tu docte tributi.

  Voyons cependant ce que le jeusne Pascal a produict si publici juris est [<]; celà serait trop long, pour estre remis à nostre venue en France, qui n'est pas des plus certaines pour encor. J'envoyeray à Amsterdam informer de ce que vous demandez de Blau 1)  et demeure

    Monsieur

Vostre très humble serviteur
C. Huygens.  

  A la Haye, le 3 may, 1648.


1)   Le libraire Joan Blaeu. Voir la Lettre No. 46, note 19.




[ No. 50 ]




No 57a.

Constantyn Huygens, père, à M. Mersenne.

20 juillet 1648.

La lettre se trouve à Paris, Bibliothèque Nationale. [NAF 6206, f. 25.]


    Monsieur

  A faulte de meilleur discours quelqu'ami vous pourra avoir apprins comme, par une indisposition survenue, mon voyage de Bourgogne s'est esvanoui 1). Par consequent nous ne sommes pas pour nous veoir au premier jour. Dicamus quod res est; fata obstant, et continuons de nous veoir en papier, comme les occasions s'en presenteront.

  Celle que vous m'avez donnée touchant les essays du Canon 2)  n'est pas ablata, mais dilata; mais depuis que me voicy sur pied, les pluyes et les tempestes sont si continuelles sur nos costes, que de memoire d'hommes il ne s'est point veu d'esté


1)   Voir la Lettre No. 55 [et 54].     2)   Voir la Lettre No. 48.

[ 569 ] [ v ]

si desreglé. Je pense que vous y avez la part qu'y ont tous les voysins, mais admirez aveq moy s'il est veritable, comme on dit qu'en Pologne tout le bled se brusle et seiche aux champs. Nous sommes à la veille 3)  de faire un voyage de parade au Baptesme 4)  du jeusne Prince Electeur de Brandebourg 5)  a Cleves, au retour j'iray m'appliquer tout de bon a vostre artillerie.

  Voyci en attendant un mot 6)  de mon Archimede, qui ne sera pas icy encor de quelques sepmaines. Je ne sçay de quoy il vous entretient, et demeure sans varier

    Monsieur

Vostre très humble serviteur
C. Huygens.  

  A la Haye, le 20 juillet, 1648.


3)   En effet, Constantyn Huygens partit le 30 juillet pour Clèves, et en revint le 7 août. [Dagboek.]
  [ Cf. la lettre 4854 de C. H. à Mersenne, 14 août 1648.]
4)   Le baptême eut lieu le 2 août. [Dagboek.]
5)   Wilhelm Heinrich, né le 21 mai 1648, mourut le 24 octobre 1649.   [Cf. No. 18a.]
6)   Voir la Lettre No. 57b.





No 57b.

Christiaan Huygens à M. Mersenne.

12 juillet 1648 1).

Appendice au No. 57a.

La lettre se trouve à Paris, Bibliothèque Nationale. [NAF 6206, f. 27.]
Elle est la réponse aux Nos. 50 et 51.


    Monsieur

  Il est bien raison que je vous demande pardon de ce que je n'ay pas respondu à deux de vos lettres qu'à cest'heure. Si j'eusse osè attendre encor une sepmaine je vous aurois envoyè mon traittè de la chaisne 2)  que j'ay nouvellement reveu et corrigè, et augmentè de la nouvelle demonstration du premier theorème, qui m'a donnè plus de peine presque que tout le reste du traittè, il a fallu 3 vel 4 lemmata [<]


1)   Cette lettre se trouvait incluse dans la Lettre No. 57a.
2)   Consultez les Lettres Nos. 20, 21 et 23b.

[ 570 ] [ v ]

quae ad conica spectant devant que de le pouvoir demonstrer, et pourtant j'ay aymè mieux prendre toute ceste peine que de bailler la demonstration de Stevin*) pour suffisante, car il me semble qu'elle ne l'est pas.

  Il ne me reste maintenant qu'a descrire mon traittè, et je vous l'envoyeray aussi tost, affin que vous en disposiez apres comme bon vous semblera. Nos vacations seront bientost, et quand je seray a la Haye j'espere de voir faire l'experience du Canon 3)  laquelle je croy avoir esté differée par l'indisposition de mon Pere ou pour mon absence qui suis

Vostre treshumble serviteur
Chrestien Huygens.  

  A Breda le 12 de juillet 1648.


[ *)   Albert Girard, Les oeuvres mathematiques de Simon Stevin (Leiden 1634), p. 508.]
3)   Voir la Lettre No. 48.




Mersenne mourut le 1er septembre 1648.

Constantijn Huygens sur Mersenne, lettre 3723, le 30 août 1644, à un correspondent à Genève (Calandrini):

Ne vous estonnez pas, si je vous recommande un moine dans Geneve; en voyci un qu'on y cognoit asseurement, et qu'on y doit moins haïr que tout autre, pour sa candeur, et ce grand sçavoir qui le rend amy de tous ceux qui ayment les belles lettres. C'est donq le pere Mersenne, minime à Paris, aveq qui, sans l'avoir jamais veu, j'entretiens depuis beaucoup d'années une intelligence lettrée tres-aggreable. Il va faire un tour à Rome, contre mon advis, notez, om den mutsaert [à cause du bûcher] et je l'en ay souvent dissuadé. Apres tout, Monsieur, c'est un personnage à tout, mais surtout profond philosophe musicien, tesmoing de grands volumes qu'il en a escrit.

Brieven Constantijn Huygens a 30 lettres à ou de Mersenne, la première est du 26 août 1639.
Verslagen en mededeelingen der Kon. Ak. van Wet. 3-6 (1889), p. 103: 3 autres (15 dec. 1641, 11 jan. 1644, 21 aug. 1646).




Christiaan Huygens sur Mersenne, lettre à Carcavy, 1er juin 1656 (I, 428):

Le Pere Mersenne m'honoroit de sa correspondance pour m'inciter a l'etude des mathematiques a laquelle il me voyait portè naturellement; et m'envoyait souvent des escrits de vous autres illustres et principalement de Monsieur de Fermat, que j'ay commencè a entendre a mesure que j'ay profitè dans ces sciences. Ainsi j'ay eu des mon premier apprentissage une merveilleuse estime pour ce grand homme, la quelle s'est augmentée de beaucoup quand j'ay appris estant en France que de mesme qu'aux mathematiques il excelloit en toute chose ou il daignoit d'appliquer son esprit.

Correspondance du P. Marin Mersenne, XVI, p. 550.



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